Un monde en profonde transformation (Xavier-Philippe Tulenew, VO2 Group)

Xavier-Philippe, pourriez-vous nous expliquer comment votre parcours académique en analyse numérique a influencé votre approche actuelle de l'intelligence artificielle et du Machine Learning dans le commerce électronique ?

L’analyse numérique est en effet le socle mathématique et méthodologique qui a permis l'essor de l'IA moderne, tout en ayant des racines profondes dans des domaines comme la mécanique des fluides, où le traitement de grands volumes de données (simulations, mesures expérimentales) était déjà critique. Les premières applications dans l'e-commerce ont été les moteurs ou système de recommandation que l'on retrouve désormais bien sûr sur Amazon mais aussi sur Netflix, Youtube, Tiktok, Spotify etc... Mais l'on utilise ses outils pour aussi faire du forecasting (stock, prix,...), de l'optimisation logistique. Ainsi par exemple Tesla (optimisation de la trainée des véhicules), Zalando (optimisation des flux logistiques) utilise du ML avec des algorithmes de CFD (Computational Fluid Dynamics) pour des rôles assez différents.

Vous avez une vaste expérience dans l'optimisation des processus. Pourriez-vous nous donner un exemple concret de la façon dont vous avez intégré l'intelligence artificielle pour transformer un processus d'affaires au sein d'une organisation ?

Par exemple, la gestion des stocks et la chaîne d’approvisionnement est critique au sein des retailers dans l'e-commerce. Ainsi la rupture des stocks (qui peut aller jusqu'à 15% des SKUs), le surstock ou la prévision des commandes sont des domaines important en e-commerce. L'usage de modèle hybride tels que les Time Series Forecasting (qui sont des modèles plutôt utilisés en Finance des marchés) s'avère être des modèles intéressants pour lesquels des progrès considérables ont été faits ses dernières années (notamment grâce à Meta). Ce que je retiens de ses expériences, c'est que l'AI ne remplace pas l'analyse métier, elle amplifie juste une logique existante. Que l'optimisation numérique est incontournable et qu'un modèle de ML seul ne résout pas un problème avec contraintes et qu'il est important d'essayer d'avoir une explicabilité pour les équipes (en fournissant par exemple des scores dits de confiance pour faciliter l'adoption).

Avec votre expérience chez VO2 GROUP, quelles sont, selon vous, les principales barrières que les entreprises rencontrent lorsqu'elles tentent d'adopter l'intelligence artificielle, et comment peuvent-elles être surmontées ?

Les entreprises qui adoptent l’IA rencontrent plusieurs difficultés tels que des barrières techniques, organisationnelles et éthiques. La plupart du temps les compétences internes font défaut et il faut former les collaborateurs, créer des pôles d'expertises internes mais surtout accompagner les métiers. Et c'est que nous avons mis en place au sein de VO2.
Les autres difficultés sont les difficultés à identifier des cas concrets avec l'AI. Pour cela, nous sommes partis de problématiques métiers clairs que nous avons mises dans un backlog et au travers d'atelier de formation qui nécessite de la préparation nous co-construisons des solutions avec les utilisateurs.
Les problématiques de qualité des données ou de silotages des données sont aussi des problématique courantes et une gouvernance des données doit être mise en place.
La résistance au changement est aussi un problème courant car les personnes avec lesquels je collabore pense que l'AI va les remplacer mais c'est surtout un formidable helper du quotidien pour lesquels il faut tout le temps avoir un esprit critique sur ce que la machine nous fournit. Ce que je remarque, elle permet actuellement de construire de meilleures applications plus rapidement mais elle ne remplace pas l'excellence et la compétence.

Comment votre approche inspirée des startups a-t-elle influencé votre stratégie de développement de solutions e-commerce utilisant l'intelligence artificielle ?

Ce n'est pas une question facile car les startups et les entreprises n'avancent pas à la même vitesse et ont des problèmes clairement différents. Ce que je remarque, c'est que les grands chantiers ambitieux à l'échelle ne marchent que peu et qu'il vaut mieux avoir une approche Test & Learn au travers de micro expériences plutôt que faire des POCS longs et couteux avec peu de valeur. La scalabilité ne doit jamais être un objectif en soi, on le voit et les exemples comme Meta, Amazon, etc... montrent qu'il faut être en priorité focus sur son business et faire croître son marché en priorité en essayant d'avoir un ROI. Cela marche pour certaines startups, mais n'est pas toujours applicable aux autres entreprises.

Nous savons que la sécurité est l'une de vos expertises. Comment prédisez-vous que les préoccupations de sécurité évolueront à mesure que l'IA deviendra plus intégrée dans les systèmes e-commerce ?

La sécurité, c'est une activité à plein temps et je remercie les personnes qui partagent et m'aident dans mon quotidien. Actuellement, on a tous les jours de nouvelles vulnérabilités qui nécessitent de rajouter de nouvelles couches de protection des données, de prévention et de monitoring. Malgré cela, nous essayons d'avoir une approche "Secure by Design" ou "Secure by AI design" mais c'est une approche difficile ou nous voyons toujours beaucoup de réticences car l'on pense que la sécurité à un coût, c'est vrai. Mais lorsqu'un problème de fuite de données, de ransomwares ou autres arrivent, il est souvent trop tard mais cela a cependant un mérite, c'est que c'est formateur pour tout le monde.

Vous avez plusieurs certifications en écoconception et numérique responsable. Comment pensez-vous que l'intelligence artificielle peut jouer un rôle dans le soutien du développement durable au sein des organisations ?

C'est un sujet important que celui de la protection de la planète et l'usage complètement disproportionné que nous faisons des ressources, tout cela amplifié par notre société de consommation. Si je cite Cédric Villani sur ce sujet, il précise que l '"AI est au mieux une difficulté supplémentaire, au pire une catastrophe"... Tout cela pour dire que les bénéfices actuels apportées par l'AI sont plutôt faibles et que l'on doit repenser significativement les algorithmes et modèles en AI.

D'après votre expérience, quelles sont les compétences cruciales que les jeunes professionnels devraient développer pour réussir dans le secteur de l'intelligence artificielle et de la technologie aujourd'hui ?

C'est important de rassurer les jeunes professionnels dans un métier qui est exigeant, rigoureux et pour lequel il faut désormais avoir du recul sur les technologies que l'on utilise. Ce que je dirais, c'est qu'il est important d'avoir des fondamentaux solides avec un esprit ultra critique (car les machines aident mais il ne faut pas se fier à ce qu'elles fournissent et c'est actuellement un piège actuel), posséder des expertises métiers transverses (banque, luxe, automobile, hôtellerie, ...) car c'est ce dont ont besoin nos clients et qui consiste en priorité à comprendre et à les aider dans leur métier, être adaptable dans les métiers car avec l'AI nous sommes dans une dynamique importante, avoir une conscience éthique en comprenant les enjeux réglementaires sous-jacents à l'AI et avoir quelques soft-skills notamment sur l'importance de savoir communiquer de façon simple sur les solutions et outils que nous manipulons.


Xavier-Philippe Tulenew est le Directeur Technique et Responsable de l'IA chez VO2 GROUP. Il possède plus de 18 ans d'expérience dans des agences de publicité, des grandes entreprises et des cabinets de conseil. Son expertise se concentre sur la transformation des organisations par la technologie, en utilisant l'intelligence artificielle de façon adaptée aux besoins des entreprises.

Il a été précédemment CTO chez Wemanity, Omnicom et Publicis où il a travaillé sur des projets complexes et dirigé des équipes dans des environnements internationaux. Xavier-Philippe est passionné par les nouvelles technologies, notamment l'intelligence artificielle, la robotique et l'apprentissage automatique. Il essaie d'intégrer toujours les contraintes liées à ces technologies dans ses projets à la condition qu'elles apportent des bénéfices significatifs aux clients.

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