Camilo, pouvez-vous partager avec nous un moment charnière dans votre parcours qui vous a inspiré à vous consacrer à la démocratisation de l'intelligence artificielle?
Un moment charnière, pour moi, remonte à une conférence sur l’intelligence artificielle à laquelle j’ai assisté en début de carrière. L’orateur présentait les réseaux de neurones en affichant des formules mathématiques complexes, avec beaucoup d’assurance, mais sans réellement prendre en compte le public. Très vite, j’ai vu que les gens décrochaient. Ils étaient curieux, mais complètement perdus.
Et là, je me suis fait cette réflexion simple, mais déterminante : « On peut faire mieux. Il y a une autre manière d’enseigner l’IA. » Une manière qui parte des questions concrètes que se posent les gens, qui explique sans simplifier à l’extrême, qui donne envie de comprendre sans avoir un doctorat en maths.
C’est ce jour-là que j’ai commencé à voir mon rôle autrement : pas juste comme quelqu’un qui comprend l’IA, mais comme quelqu’un qui peut la rendre accessible, intelligible, et surtout utile pour les autres.
En tant que fondateur de The Machine Learning Lab, quelles tendances émergentes en IA observez-vous et comment pensez-vous qu'elles impacteront les entreprises dans un avenir proche?
En tant que fondateur de The Machine Learning Lab, l'une des tendances les plus marquantes que j’observe, ce n’est pas tant une technologie en particulier, mais un phénomène : la peur de rater le train de l’IA. Beaucoup d’entreprises se lancent dans l’IA dans la précipitation, parfois sans stratégie claire, simplement parce qu’elles ont peur d’être "à la traîne". D'autres, au contraire, restent figées, paralysées par la complexité apparente du sujet.
C’est là que j’interviens avec une méthodologie unique. Chez The Machine Learning Lab, on ne se contente pas de montrer des outils. On apprend aux équipes à "parler IA", ce qui pour moi va bien au-delà du simple fait de “savoir prompter”. Parler IA, c’est comprendre les concepts de base – comme ce qu’est le machine learning, comment fonctionne un modèle, ou encore quelles sont les limites de ces technologies. C’est aussi développer un regard critique, apprendre à se poser les bonnes questions, et à faire des choix éclairés, sans se laisser guider uniquement par l’effet de mode ou le marketing.
Notre pédagogie repose sur la pratique concrète, en petits groupes de maximum 10 personnes, pour permettre une vraie montée en compétence. L’objectif, c’est que les participants repartent non seulement avec des connaissances, mais aussi avec une posture : celle de personnes capables de dialoguer avec des experts, de questionner des solutions techniques, et d’intégrer l’IA dans leur stratégie avec lucidité.
C’est cette approche que je pense essentielle pour que les entreprises tirent réellement parti de l’IA dans les années à venir – non pas en la subissant, mais en la comprenant.
Vous proposez de nombreuses formations et ateliers en IA. Quels sont, selon vous, les plus grands défis auxquels les entreprises doivent faire face lors de l'implémentation de solutions d'intelligence artificielle?
Selon moi, l’un des plus grands défis que rencontrent les entreprises lorsqu’elles implémentent des solutions d’intelligence artificielle, c’est qu’elles le font souvent sans impliquer les utilisateurs finaux. Trop souvent, ce sont des solutions pensées "d’en haut", par des personnes qui ne vont pas les utiliser au quotidien. Résultat : on se pose les mauvaises questions, on construit des systèmes qui ne répondent pas aux vrais besoins, ou qui sont mal adoptés.
C’est pour ça que j’ai développé une méthodologie unique qui s’appuie sur le design thinking. Elle permet de co-construire des solutions qui soient viables économiquement, désirables pour les utilisateurs, et techniquement faisables. Cette approche remet les usages au centre, ce qui change complètement la manière dont on conçoit l’IA en entreprise.
Un autre défi majeur, c’est la confusion généralisée sur ce que signifie “intégrer l’IA”. Beaucoup d’acteurs mettent tout dans le même sac, alors qu’il y a en réalité plusieurs niveaux d’intégration très différents :
– Déployer des outils d’IA générative prêts à l’emploi,
– Intégrer des briques d’IA "as a service" proposées par des éditeurs cloud,
– Ou encore entraîner et déployer ses propres modèles de machine learning en interne.
Chaque approche a ses avantages, ses limites, ses implications en termes de compétences, de coûts, de gouvernance… Et les entreprises ne peuvent pas faire les bons choix si elles ne comprennent pas ces distinctions fondamentales.
C’est pour cela que l'accompagnement que je propose ne se limite pas à la technique : il aide aussi à poser les bonnes questions stratégiques dès le départ, pour éviter de se lancer dans des projets mal orientés, coûteux ou inutiles.
Pouvez-vous nous parler d'un cas spécifique où votre expertise en IA a considérablement aidé une entreprise cliente à améliorer ses opérations ou sa stratégie?
Oui, bien sûr. Un exemple marquant est celui d’un concessionnaire de poids lourds que j’ai accompagné récemment. Leur enjeu principal était d’aider les équipes commerciales à mieux cibler leurs efforts de prospection, dans un contexte où les données étaient nombreuses, mais peu exploitées.
Nous avons développé une solution d’IA capable d’analyser et de croiser plusieurs sources de données : le CRM, l’ERP, mais aussi de l’open data, comme les nouvelles immatriculations de véhicules. L’idée était de créer un système intelligent qui puisse identifier, parmi toutes les entreprises du territoire, les opportunités commerciales les plus prometteuses.
Concrètement, nous avons combiné de l’algorithmie classique, des règles métier définies avec les équipes terrain, et une analyse par un LLM, pour extraire des signaux faibles et affiner l’interprétation des données textuelles. Le résultat : chaque prospect se voit attribuer un score d’opportunité. Cela permet aux commerciaux de prioriser leur prospection, de concentrer leurs efforts sur les bons interlocuteurs, au bon moment.
Ce projet a eu un impact très concret : un gain de temps significatif pour les commerciaux, une meilleure efficacité commerciale, et surtout une réconciliation entre la donnée et le terrain. C’est exactement le type de projet où l’IA devient un véritable outil d’aide à la décision, et pas juste un gadget technologique.
En tant qu'ancien Key Account Manager chez Devoteam G Cloud, comment cette expérience a-t-elle influencé votre approche actuelle en matière de développement de produits d'intelligence artificielle?
Mon expérience en tant que Key Account Manager chez Devoteam G Cloud a été un vrai tournant. À cette époque, j’ai eu la chance de travailler en étroite collaboration avec les équipes de Google Cloud en France. C’est là que j’ai découvert, presque par hasard, tout l’univers des produits cloud de Google, et en particulier leurs API d’intelligence artificielle : Cloud Vision, Natural Language, Speech-to-Text, etc.
Ce qui m’a frappé, c’est la simplicité avec laquelle on pouvait intégrer de l’IA dans un produit. Quelques lignes de code, une clé API… et tout à coup, on pouvait analyser des images, comprendre du texte, extraire de l'information. Pour moi, qui ne venais pas d’un background technique à la base, c’était presque magique.
Et c’est exactement cette prise de conscience qui m’a donné envie de me lancer dans ce domaine. Je me suis dit : « Si moi je découvre ça maintenant, alors que je travaille dans un écosystème tech, combien d’entreprises passent complètement à côté ? » Et la réalité, c’est que c’est encore souvent le cas aujourd’hui.
Cette expérience a profondément influencé mon approche actuelle : je cherche à rendre l’IA accessible, à montrer qu’on peut faire des choses puissantes sans forcément avoir à tout développer en interne. Et surtout, j’aide les entreprises à comprendre les différentes manières d’intégrer l’IA intelligemment dans leurs produits et leurs processus, sans se laisser submerger par la complexité.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui cherchent à se lancer dans une carrière liée à l'intelligence artificielle, en particulier en ce qui concerne l'équilibre entre la technologie et le développement commercial?
Le premier conseil que je donnerais, c’est que tout le monde a une place dans l’IA – il suffit de la trouver. Trop souvent, on pense que l’intelligence artificielle est réservée aux ingénieurs, aux data scientists ou aux développeurs. Mais en réalité, l’IA peut transformer la carrière de n’importe qui : un avocat, un médecin, un boulanger, un enseignant… Tout dépend de l’angle d’approche.
Je suis convaincu que la plupart des métiers liés à l’IA dans 10 ans n’existent pas encore aujourd’hui. Il ne faut donc pas attendre que ces métiers soient "officiels" pour se positionner. Au contraire, il faut oser les inventer. C’est en croisant ses compétences métier avec une compréhension du potentiel de l’IA qu’on peut créer de nouvelles opportunités professionnelles — des ponts entre la tech et les besoins du terrain.
C’est pour ça que je dis toujours : tout commence par “parler IA”. Pas besoin d’être expert en code pour ça. Il s’agit d’acquérir un socle de compréhension, de développer un regard critique, de savoir poser les bonnes questions. C’est exactement l’objectif des formations que je propose : rendre l’IA accessible à tous, quelle que soit leur expertise de départ, et leur permettre de devenir acteur — pas juste spectateur — de cette transformation.
Enfin, pour trouver l’équilibre entre la technologie et le développement commercial, je pense qu’il faut garder en tête que l’IA n’a de valeur que si elle répond à un vrai besoin. L’enjeu, ce n’est pas d’utiliser de l’IA pour le plaisir, mais de créer de l’impact, de l’usage et du sens.
Camilo Rodriguez est le fondateur de The Machine Learning Lab, une entreprise spécialisée dans la conception et le développement de solutions d'intelligence artificielle pour les entreprises. Il a une expérience significative dans le domaine de l'IA et du machine learning. Il a précédemment occupé des postes de gestion chez Devoteam G Cloud et Intel Corporation.
Camilo détient un master en développement commercial international de NEOMA Business School et a suivi une formation en développement web. Il est passionné par la démocratisation de l'intelligence artificielle et propose des formations accessibles à tous. Il est reconnu pour son expertise en développement commercial et en marketing de produits.