Bonjour Fabrice Marque, pourriez-vous nous parler de votre parcours, en particulier des moments clés qui vous ont mené à devenir conseiller stratégique et Business Angel dans le domaine de l'IA ?
J’ai passé 24 ans chez Accenture, où j’ai accompagné des dirigeants de grands groupes et d’ETI sur leur transformation stratégique, en dirigeant notamment la practice stratégie client en France et Benelux. Ce qui m’a toujours intéressé, c’est la manière de passer de la promesse technologique à la création de valeur concrète sur le terrain – et dans le P&L. L’IA s’est imposée naturellement comme un des leviers majeurs de cette transformation, mais j’ai très vite compris qu’elle exigeait une approche responsable, structurée et alignée sur la stratégie et la culture de l’entreprise. Elle impose aussi de nouveaux talents, ce qui m’a conduit à créer il y a 12 ans une chaire dédiée à ces enjeux à l’ESSEC (Ai for responsible leadership) . Aujourd’hui, je combine ce parcours de conseil avec mon activité de Business Angel (notamment chez Paris Business Angels, où je pilote le domaine IA) et d’accompagnateur de dirigeants, pour les aider à structurer et déployer des stratégies intégrant l’IA de manière pragmatique, ambitieuse et responsable.
En tant que CEO de ZebraValley, comment intégrez-vous l'IA pour promouvoir un leadership responsable et quels en sont les principaux avantages que vous avez observés ?
ZebraValley, c’est à la fois un atelier d’accompagnement stratégique et un espace de production de contenu exigeant à destination des dirigeants. L’objectif n’est pas de vendre des « solutions miracles », mais d’aider les organisations à réfléchir sérieusement à ce qu’elles veulent faire avec l’IA et comment le faire. On travaille sur les feuilles de route, la conduite du changement, la production de contenus et de formations qui outillent réellement les décideurs. Résultat : des dirigeants mieux armés pour piloter leur stratégie (IA, mais pas uniquement), des équipes plus sereines face aux enjeux éthiques, et surtout des projets qui tiennent leurs promesses en termes de valeur créée.
Ayant été à la tête de la première pratique de stratégie client en France et Benelux chez Accenture, quels changements majeurs avez-vous observés dans l'application de l'IA au service de la stratégie client au fil des ans ?
Le plus gros changement, c’est qu’on est passé d’une IA perçue comme un gadget ou un « proof of concept » à un véritable levier stratégique piloté au plus haut niveau. Là où avant on multipliait les POC isolés, on structure désormais des feuilles de route IA intégrées, avec des cas d’usage clairs et un ROI tangible. Il y a aussi une vraie montée en maturité sur la donnée : beaucoup d’entreprises ont compris qu’elles doivent organiser, gouverner et valoriser leurs données pour que l’IA soit réellement utile. Enfin, il y a la prise de conscience de l’enjeu humain : l’IA ne remplace pas les équipes, elle leur impose de nouvelles compétences et un accompagnement sérieux.
Mais au fond, certains invariants de la stratégie client restent les mêmes. Il y a vingt ans déjà, on essayait de prévoir les pics d’activité dans les centres de contact, de dimensionner les équipes pour y répondre, de réduire l’écart entre la demande et la capacité. Aujourd’hui, l’IA offre des outils beaucoup plus puissants pour résoudre ces problèmes, mais ça reste le même objectif : anticiper, aligner, créer de la valeur concrète sur le terrain.
Vous avez fondé l'initiative AI for Responsible Leaders ESSEC-Accenture. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste cette initiative et quels sont ses objectifs principaux ?
L’enjeu pour nous, c’est de montrer comment l’IA peut devenir un véritable levier au service d’un leadership responsable : un leadership qui prend soin de ses équipes, de ses parties prenantes, de la planète et de son P&L. Avec l’initiative et la chaire, on a structuré un cadre de travail qui aide les dirigeants à se poser les bonnes questions : quels usages IA créent de la valeur réelle ? Comment embarquer les équipes ? Comment anticiper les risques ? Pour ça, on organise des tables rondes entre pairs, on propose des formations certifiantes et on produit du contenu exigeant. Avec le Grand Prix, on a prouvé qu’on pouvait identifier et partager des cas concrets de déploiement IA qui améliorent réellement la performance et l’impact des entreprises. L’objectif, c’est d’éviter les discours creux et de donner aux dirigeants des repères et des outils pour piloter eux-mêmes cette transformation, à l’intersection entre l’académique, les talents et le business.
En tant qu'investisseur dans des startups B2B axées sur l'IA et le deep tech, quelles sont les innovations ou tendances actuelles qui vous enthousiasment le plus dans ce secteur ?
Je suis particulièrement attentif aux outils qui permettent aux entreprises de structurer et piloter intelligemment leur déploiement GenAI. On parle beaucoup des grands modèles, mais la vraie valeur se crée quand on sait les adapter à un métier, une organisation, un savoir-faire. Ces copilotes IA internes, capables d’industrialiser la production de contenu expert ou d’assister la prise de décision, changent la donne.
Je suis aussi très attentif à tout ce qui renforce la confiance et la gouvernance : l’IA explicable, la qualité et la gouvernance des données, mais aussi les synthetic data pour entraîner les modèles de façon plus sûre et plus conforme, ou encore le watermarking et l’authentification des contenus générés. Ce sont des briques indispensables pour des usages sérieux et responsables en entreprise.
Enfin, je crois beaucoup à la valeur des démonstrateurs internes — comme le DEX IA qu’on a développé — pour rendre ces approches concrètes dès le départ et embarquer les équipes avec crédibilité.
Quels conseils donneriez-vous aux dirigeants qui commencent à intégrer l'IA dans leurs stratégies d'affaires, et quelles erreurs courantes leur conseillez-vous d'éviter ?
Je leur dirais avant tout d’éviter de vouloir absolument « faire une stratégie pour l’IA » ou « pour l’IA générative ». Il ne s’agit pas de dérouler un plan pour une technologie : il s’agit de construire une stratégie d’entreprise, avec l’IA comme levier au service des objectifs business, des équipes et des parties prenantes. Ça implique de clarifier la vision, de prioriser les cas d’usage où l’IA peut vraiment apporter de la valeur, et de prévoir dès le départ la gouvernance et l’outillage adaptés pour passer à l’échelle.
Je recommande aussi de ne pas sous-estimer la dimension humaine. Les équipes doivent être formées, rassurées, associées : c’est indispensable pour que l’IA s’installe durablement et crée de la valeur concrète.
Selon vous, comment l'IA va-t-elle évoluer dans le futur et quelles seront les implications de cette évolution pour les leaders responsables et les stratégies d'entreprise ?
Je pense qu’on va voir deux dynamiques s’installer en parallèle. D’un côté, l’adoption large de la GenAI va créer une couche d’automatisation générique : génération de contenus, code, résumés, aide à la rédaction... Ce sera rapidement un standard, accessible à tous, mais qui n’offrira pas en soi un avantage concurrentiel différenciant.
De l’autre côté, la vraie valeur stratégique viendra de la capacité des entreprises à développer des usages d’IA sur leurs propres données, leur expertise et leurs processus. C’est là qu’on pourra construire un véritable avantage compétitif : meilleure anticipation, meilleure qualité opérationnelle, meilleure expérience client.
Les leaders devront donc piloter cette transformation de façon lucide : ne pas se laisser hypnotiser par la vitrine GenAI seule, mais investir sur la donnée, la gouvernance et la capacité à industrialiser des cas d’usage métier.
Et si on regarde plus loin, on voit déjà arriver des évolutions majeures : des modèles plus spécialisés et plus explicables, des approches hybrides plus sobres en calcul, des cadres réglementaires plus clairs. Les dirigeants auront un rôle clé pour intégrer ces évolutions au service de leur stratégie et de leurs équipes.
Fabrice Marque est conseiller stratégique senior et investisseur d'affaires, actuellement CEO de ZebraValley et impliqué dans l'initiative AI for Responsible Leadership. Avec plus de 30 ans d'expérience, il a aidé des entreprises à redéfinir leurs stratégies de croissance et à intégrer des modèles axés sur l'IA. Ancien directeur général chez Accenture, il a dirigé la pratique de Customer Strategy en France et Benelux. Fabrice est également fondateur de la Chaire de Business Analytics Stratégique d'Accenture à l'ESSEC. Il soutient des startups B2B utilisant l'IA et conseille des dirigeants pour intégrer l'IA dans leurs stratégies d'affaires.