L’IA au service des opérations industrielles (Nelson Atipo, AutomAssist)

Bonjour Nelson, pouvez-vous partager avec nous ce qui vous a inspiré à fonder AutomAssist et quel a été le déclencheur de cette aventure entrepreneuriale ?

L’idée d’AutomAssist vient de la rencontre entre mon parcours dans l’automatisation industrielle et l’arrivée de l’IA générative.
Dans l’industrie, on parle d’IA depuis longtemps, mais on parle surtout de vision industrielle ou de machine learning classique. J’avais touché un peu à ces deux domaines, mais rien qui ressemble à ce que permet l’IA générative aujourd’hui.

Quand ChatGPT est arrivé, ça a été un vrai déclic. Pour la première fois, je pouvais l’utiliser pour coder en Python ou dans d’autres langages, ce qui me manquait parfois dans certains projets industriels. J’ai donc essayé de l’utiliser pour programmer des automates industriels, les PLC, qui sont les contrôleurs fournis par des fabricants comme Siemens, Beckhoff, B&R ou Rockwell par exemple.

Et je me suis vite rendu compte que ça ne fonctionnait pas, car les modèles avaient très peu de données sur ces environnements. Contrairement au web, ces systèmes ne sont pas open source, chaque fabricant a ses spécificités et la documentation est rarement accessible publiquement.

La toute première idée, c’était donc un agent d’aide à la programmation PLC.
Ce travail a donné naissance à un premier produit B2C, et avec l’évolution rapide des modèles, on a découvert tout le potentiel de l’IA agentique.

C’est à ce moment-là que tout s’est aligné. On pouvait utiliser cette nouvelle IA comme interface entre les personnes, qui peuvent s’exprimer en langage naturel, et les systèmes complexes de l’usine, qu’il s’agisse de documentation technique, de machines ou de bases de données et de logiciels de gestion industrielle, comme les MES (Manufacturing Execution Systems) ou les ERP.

C’est dans cette logique que nous avons développé nos deux produits : IDM (Industrial Document Manager) pour la documentation, et AutomInsight pour les machines et les données de production.

Comment votre expérience en tant qu'ingénieur de contrôle chez Tesla a-t-elle influencé votre approche de l'automatisation industrielle et de l'IA générative chez AutomAssist ?

L'expérience chez Tesla a été un élément clé dans la création d’AutomAssist, parce qu’elle m’a permis de travailler au cœur d’un des environnements de production les plus digitalisés au monde. J’y suis resté trois ans et demi, en pilotant l’automatisation et la digitalisation des lignes d’assemblage des batteries 4680. C’était une opportunité unique pour comprendre, au quotidien, ce que signifie opérer une usine complexe à très grande vitesse.

Ce que j’ai observé là-bas m’a beaucoup inspiré.
Même dans des environnements très avancés, l’automatisation reste fragmentée. La documentation, les machines et les données ne sont pas reliées entre elles de manière simple, et cela crée des frictions opérationnelles que l’on retrouve partout dans l’industrie, quel que soit le niveau technologique.

J’ai aussi constaté que l’IA n’est vraiment utile que si elle est intégrée directement aux opérations. Les équipes n’attendent pas un tableau de bord de plus, mais un moyen d’accéder immédiatement à la bonne information, au bon endroit, que ce soit une procédure, un schéma, une cause de panne ou une donnée en temps réel.

C’est cette réalité terrain qui nous a guidés dans la conception d’AutomAssist. Notre objectif est très simple : utiliser l’IA pour rendre l’information industrielle accessible en quelques secondes, là où elle est nécessaire, afin d’aider concrètement les techniciens et les ingénieurs dans leur travail quotidien.

En tant qu'ambassadeur d'Osez l’IA, comment voyez-vous le rôle de l'intelligence artificielle dans la transformation économique en France, notamment dans les secteurs industriels ?

Je pense que la France a une vraie opportunité avec l’IA générative, surtout grâce à l’écosystème très actif qui s’est créé autour de cette technologie. Pour que cette dynamique produise un impact économique réel, il faut que l’IA soit appliquée à des secteurs d’activité précis. C’est en travaillant sur des cas d’usage concrets qu’on peut mesurer son utilité et améliorer sa performance.
Ces dernières années, le SaaS B2B a multiplié les outils spécialisés et les sources d’information. Dans beaucoup d’entreprises, la documentation, les logiciels métiers et les bases de données fonctionnent chacun de leur côté, sans toujours communiquer entre eux. L’IA agentique peut devenir le lien entre ces systèmes, en faisant circuler l’information utile au bon endroit et au bon moment.
Si on arrive à connecter ces différents outils de manière cohérente, l’IA peut réellement devenir un moteur de transformation économique. Elle permet d’unifier des flux d’information dispersés et d’aider les équipes à accéder plus rapidement à ce dont elles ont besoin pour décider ou agir.
C’est en tout cas comme cela que nous voyons l’avenir : une IA appliquée, profondément ancrée dans les opérations, et capable de rendre les systèmes déjà existants plus efficaces ensemble.

Peut-être pourriez-vous nous parler des défis spécifiques que vous avez rencontrés en intégrant l'IA générative dans des solutions d'automatisation, et comment vous les avez surmontés ?

Intégrer l’IA générative dans l’automatisation industrielle apporte trois défis principaux.
Le premier est la sécurité. Les documents et les données industrielles doivent rester dans l’environnement du client. Il faut donc que l’IA fonctionne directement dans leur cloud ou sur leurs serveurs, sans transfert externe.
Le deuxième est la fiabilité. En contexte industriel, une IA doit donner des réponses exactes. Les documents techniques et les schémas sont complexes, ce qui demande des pipelines de traitement adaptés, pas seulement un modèle de langage brut.
Le troisième concerne l’intégration. Les logiciels métiers, les bases de données et les environnements d’automatisme ont chacun leurs spécificités. Les connecter à une IA nécessite de bien comprendre leur fonctionnement et leurs contraintes.
Au final, les difficultés viennent surtout de l’ingénierie autour de l’IA : sécurité, précision et intégration dans des systèmes existants. C’est ce travail qui permet à l’IA d’être réellement utile sur le terrain.

Comment AutomAssist contribue-t-il à rendre l'automatisation et l'IA plus accessibles aux petites et moyennes entreprises, comparé aux grandes corporations ?

Nous voyons l’IA comme une interface entre les personnes et les systèmes techniques. C’est autour de cette idée que nous avons conçu nos produits, pour permettre aux PME d’utiliser l’IA sans projets lourds ni démarches trop complexes comme celles du machine learning classique.

Pour l’IDM, notre plateforme documentaire, l’essentiel est de rendre la bonne information accessible au bon endroit. Nous reprenons la structure réelle de l’usine, du site jusqu’à la machine, et nous utilisons des QR codes métalliques pour que les équipes retrouvent instantanément leurs documents sur la ligne de production. L’IA intervient ensuite pour extraire ce qui est utile dans des contenus souvent longs ou techniques. Cela redonne de la valeur à une documentation qui, dans beaucoup de petites usines, était difficile à utiliser au quotidien.

Avec AutomInsight, l’impact est encore plus net. Avec l’avènement de l’industrie 4.0, beaucoup de petites usines se sont engagées dans des projets de digitalisation très lourds, parfois disproportionnés par rapport à leur taille. Le fait que nos agents puissent se connecter directement à une machine ou à une base de données de production évite une grande partie du travail préparatoire habituel, où il faut d’abord tout réorganiser et tout structurer avant d’en tirer quelque chose.

Nous n’essayons pas de reconstruire tout le système d’information. L’agent contextualise les données au fur et à mesure, en collaboration avec l’utilisateur, ce qui rend l’ensemble beaucoup plus simple à déployer. Une PME peut ainsi commencer à utiliser l’IA pour des cas d’usage concrets — diagnostiquer un arrêt, comprendre un comportement de machine, retrouver une information — sans avoir la maturité digitale d’un grand groupe.

À votre avis, quels sont les freins actuels à l'adoption de l'IA par les entreprises, et quelles mesures devraient être prises pour accélérer cette adoption ?

Je pense que les freins à l’adoption viennent surtout d’une tendance à vouloir généraliser l’IA générative. C’est une technologie nouvelle, encore en recherche de maturité, et elle ne peut pas être appliquée de la même manière partout. Ceux qui la développent doivent se concentrer sur des verticales précises : l’industrie, le droit, la finance… parce que les métiers n’ont pas les mêmes besoins, ni les mêmes contraintes.
La confidentialité en cabinet d’avocats et la confidentialité en usine sont totalement différentes dans leur nature, mais elles peuvent être résolues par une approche technologique similaire, comme l’IA on-premise. Ce sont les métiers qui doivent guider les choix techniques, pas l’inverse.

Le deuxième frein vient du fait que beaucoup d’entreprises commencent par “mettre de l’IA quelque part” sans partir des cas d’usage. Pour vraiment avancer, il faut d’abord comprendre les problèmes opérationnels, puis décider si l’IA est la bonne réponse, et comment l’appliquer.
Quand on part du terrain et des métiers, l’adoption devient naturelle, parce qu’on apporte une solution à un problème clair, et non une technologie en quête d’application.

Enfin, quelle est votre vision pour l'avenir de l'IA dans les technologies industrielles, et quels progrès technologiques vous enthousiasment le plus ?

Si l’on regarde la manière dont les usines fonctionnent aujourd’hui, elles reposent sur une multitude de logiciels spécialisés : supervision, qualité, maintenance, logistique, traçabilité, etc. Ce sont autant d’îlots de données qui coexistent sans vraiment communiquer. C’est pour ça que l’IA agentique est, à mes yeux, la technologie la plus excitante pour l’industrie : elle peut relier tous ces systèmes entre eux et ouvrir un champ de possibilités complètement nouveau.

L’autre avancée majeure, c’est la multimodalité. Les modèles comprennent désormais le texte, l’image, la vidéo, et même des signaux plus complexes. Cela crée un terrain incroyablement fertile pour de nouvelles applications, notamment sur la surveillance des procédés et l’analyse en temps réel. On voit déjà des startups comme Cerrion lever des montants importants pour analyser la vidéo industrielle, et je pense que ce n’est que le début. Les cinq prochaines années vont être marquées par une accélération énorme dans tout ce qui touche à l’analyse vidéo et au contrôle avancé des opérations.

En résumé, l’IA agentique et la multimodalité ouvrent deux portes : connecter des systèmes qui étaient isolés, et comprendre des données qui étaient jusque-là difficiles à exploiter. Pour l’industrie, c’est probablement la plus grande opportunité technologique depuis longtemps.


Nelson Atipo est le co-fondateur et CEO d'AutomAssist, où il se concentre sur l'intégration de l'IA générative dans l'automatisation industrielle. Il occupe également le poste d'ambassadeur du Plan National Osez l'IA au Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique depuis septembre 2025. Auparavant, il a travaillé comme Senior Controls Engineer chez Tesla, supervisant la fabrication des cellules 4680 à Berlin. Il a également été ingénieur en automatisation chez MULTIVAC et a acquis une expérience significative chez Beckhoff Automation, où il a occupé plusieurs postes, allant d'apprenti à spécialiste produit.

Partager cette page
Publié le   •   Mis à jour le
Partager cette page
Parole d'experts




Les plus lus



À lire aussi










Les articles par date