Ce résumé explore les découvertes de l'étude pour trois groupes distincts — le personnel général, les créatifs et les scientifiques — afin de comprendre comment l'IA transforme concrètement leur travail. Les résultats révèlent une diversité d'expériences, mêlant optimisme, gains de productivité, mais aussi anxiété et défis uniques à chaque profession.
1. Comment les Professionnels Ont-ils Été Interrogés ?
Pour sonder les opinions à grande échelle sans sacrifier la profondeur, Anthropic a déployé une méthode de recherche novatrice. L'étude repose sur "Anthropic Interviewer", un outil piloté par l'IA Claude qui automatise la conduite d'entretiens qualitatifs. Le processus, véritable avancée pour la recherche sociologique, se déroule en trois étapes où l'IA assiste les chercheurs humains :
Planification : L'IA aide à créer un guide d'entretien flexible.
Entretien : L'outil mène des conversations adaptatives de 10 à 15 minutes avec chaque participant.
Analyse : L'IA aide à synthétiser les milliers de pages de transcriptions pour en extraire les thèmes majeurs.
Trois groupes de participants ont été interrogés pour obtenir une vision complète :
Le personnel général : 1 000 professionnels issus de divers secteurs, avec des sous-groupes importants dans l'éducation et l'informatique.
Les créatifs : 125 professionnels, principalement des écrivains et des artistes visuels.
Les scientifiques : 125 professionnels issus de plus de 50 disciplines scientifiques distinctes, de la physique à la chimie.
Cette approche a permis de recueillir des témoignages riches et nuancés, révélant ce que les chiffres seuls ne peuvent dire.
2. Le Personnel Général : L'IA, un Assistant Productif mais Anxiogène
Pour la plupart des professionnels, l'IA est avant tout un outil au service de la productivité. Ils l'utilisent pour automatiser les tâches routinières et administratives, ce qui leur permet de se concentrer sur le cœur de leur métier et les aspects qui valorisent leur expertise humaine. Les chiffres confirment cet impact positif :
86% déclarent que l'IA leur fait gagner du temps.
65% sont satisfaits du rôle que joue l'IA dans leur travail.
Cependant, cet optimisme est teinté d'inquiétudes. Une "stigmatisation sociale" freine une adoption transparente : 69% des professionnels hésitent à parler de leur utilisation de l'IA. Cette statistique révèle une tension cachée dans le monde du travail moderne : bien que l'IA soit un outil puissant, son usage reste souvent entouré d'une culture du silence, par peur d'être perçu comme "paresseux" ou moins compétent par ses collègues. À cela s'ajoute une anxiété face à l'avenir pour 55% des sondés, qui s'inquiètent de l'impact de l'IA sur leur carrière. Mais cette peur n'est pas paralysante. L'étude révèle un détail crucial : seuls 8% des professionnels exprimant cette anxiété n'ont aucun plan concret pour y faire face, signe d'une main-d'œuvre qui cherche activement à s'adapter.
L'une des découvertes les plus fascinantes de l'étude est l'écart entre la perception et la réalité de l'usage de l'IA. Interrogés sur leur pratique, 65% des professionnels décrivent leur utilisation comme de l'augmentation (une collaboration avec l'IA), contre 35% pour l'automatisation (délégation d'une tâche complète). Or, l'analyse de leurs conversations réelles avec Claude montre une répartition bien plus équilibrée, proche de 50/50. Cet écart suggère que les professionnels se perçoivent comme étant plus en contrôle et collaboratifs qu'ils ne le sont en pratique, une divergence riche d'enseignements sur notre relation naissante avec ces technologies.
Envisageant l'avenir, ces professionnels ne se voient pas remplacés, mais plutôt promus à un rôle de superviseur. Comme l'a résumé un professionnel de la communication : "Je pense que mon rôle finira par se concentrer sur la formulation des commandes, la supervision, la formation et le contrôle qualité des modèles plutôt que de faire le travail moi-même."

3. Les Créatifs : Entre Efficacité Accrue et Profonde Inquiétude
Les professionnels de la création vivent une relation profondément paradoxale avec l'IA. Ils l'utilisent pour des gains de productivité spectaculaires, tout en éprouvant une anxiété existentielle quant à leur avenir économique et à la définition même de la créativité humaine. Ce dilemme est parfaitement illustré par les chiffres et les témoignages.
Avantages (Productivité) ✅ | Inconvénients (Anxiété) 😟 |
97% déclarent gagner du temps. | Le jugement des pairs et la stigmatisation. |
68% estiment que l'IA améliore la qualité de leur travail. | La peur du remplacement économique. |
Permet de se concentrer sur les aspects préférés du travail. | L'impression de perdre le contrôle créatif. |
Cette anxiété économique n'est pas abstraite. Elle s'accompagne d'un conflit moral personnel, comme l'exprime un directeur artistique : "Je comprends parfaitement que mon gain est la perte d'un autre créatif. Le photographe de produits que je payais 2 000 $ par jour ne reçoit plus mes contrats." Pour certains, l'impact est déjà une réalité brutale, comme en témoigne cette citation percutante :
"Certains secteurs du doublage sont pratiquement morts à cause de l'essor de l'IA." – Un comédien de doublage.
Si les créatifs craignent d'être remplacés, les scientifiques, eux, sont confrontés à un défi de nature très différente : celui de la confiance.
4. Les Scientifiques : En Quête d'un Partenaire Fiable
Les scientifiques sont très intéressés par le potentiel de l'IA, mais un obstacle majeur les empêche de l'adopter pour leurs recherches fondamentales : le manque de confiance dans la fiabilité des modèles actuels. Aujourd'hui, ils utilisent l'IA principalement pour des tâches périphériques comme la rédaction d'articles, la relecture ou le débogage de code. Ils ne l'emploient pas encore pour le cœur de leur métier : la génération d'hypothèses, la conception d'expériences ou l'analyse de données critiques, où la moindre erreur est inacceptable.
La barrière de la confiance est le principal obstacle pour 79% des scientifiques interrogés. Le problème va au-delà des simples "hallucinations". Un ingénieur chimiste s'inquiète par exemple de la "sycophantrie" des modèles, c'est-à-dire leur tendance à adapter leurs réponses pour plaire à l'utilisateur, un biais inacceptable pour la rigueur scientifique. Un chercheur en sécurité de l'information résume bien le problème : "Si je dois vérifier et confirmer chaque détail que l'agent [IA] me donne pour m'assurer qu'il n'y a pas d'erreurs, cela va à l'encontre de l'objectif de faire faire ce travail par l'agent en premier lieu."
Malgré ces limites, l'espoir domine. 91% des scientifiques souhaitent une IA plus performante à l'avenir. Ils ne rêvent pas d'un simple outil, mais d'un véritable "partenaire de recherche", capable de proposer des idées nouvelles, de critiquer des protocoles et d'accélérer la découverte scientifique.
5. Ce qu'il Faut Retenir : Une Relation en Pleine Négociation
Cette étude dresse le portrait d'un monde professionnel qui négocie activement sa relation avec l'intelligence artificielle. Trois leçons principales émergent :
Un optimisme lié à la nature du travail La plupart des professionnels sont optimistes, mais cet optimisme repose sur une conviction : l'IA doit avant tout servir à éliminer les tâches ingrates pour leur permettre de se consacrer à ce qui fait la valeur unique de l'humain : la stratégie, la créativité et l'interaction personnelle.
Automatiser le banal, préserver l'essentiel Une tendance commune traverse tous les groupes : le désir de déléguer les tâches répétitives et administratives à l'IA. L'objectif est clair : libérer du temps et de l'énergie pour se concentrer sur les aspects du travail qui définissent leur identité professionnelle et leur expertise.
Des défis uniques à chaque profession Les angoisses varient fortement d'un groupe à l'autre. Elles vont de la peur du remplacement économique chez les créatifs, au manque de fiabilité pour les scientifiques, en passant par la pression sociale et la peur du jugement pour le personnel général.
Cette étude n'est qu'un début. Elle montre que l'intégration de l'IA au travail est bien plus qu'une question technologique ; c'est un enjeu psychologique, sociologique et identitaire. Loin de rester au stade de la simple observation, Anthropic utilise déjà ces résultats pour guider ses actions. Les conclusions sont partagées avec son Conseil Consultatif Économique et son Conseil Consultatif sur l'Enseignement Supérieur. Plus concrètement encore, des partenariats sont noués avec des créatifs (via des institutions comme la Tate et le Mori Art Museum), des scientifiques (via des bourses de recherche "AI for Science") et des enseignants (via un programme avec la Fédération Américaine des Enseignants). Ces "conversations" à grande échelle visent à s'assurer que le développement futur de l'IA tienne compte des besoins, des espoirs et des craintes de ceux qui l'utilisent chaque jour.
@online{handa2025interviewer,
author = {Kunal Handa and Michael Stern and Saffron Huang and Jerry Hong and Esin Durmus and Miles McCain and Grace Yun and AJ Alt and Thomas Millar and Alex Tamkin and Jane Leibrock and Stuart Ritchie and Deep Ganguli},
title = {Introducing Anthropic Interviewer: What 1,250 professionals told us about working with AI},
date = {2025-12-04},
year = {2025},
url = {https://anthropic.com/research/anthropic-interviewer},