
L'intelligence artificielle suscite autant de fascination que d'appréhension dans le monde de l'entreprise. Souvent associée à l'automatisation pure et à la suppression de postes, sa véritable application dans les fonctions stratégiques reste parfois un mystère. Pourtant, loin des clichés, des directeurs des ressources humaines (DRH) innovants l'utilisent déjà pour des applications surprenantes et profondément humaines. Cet article dévoile cinq usages concrets et contre-intuitifs de l'IA dans les RH, basés sur les témoignages de leaders qui sont en première ligne de cette transformation.
1. L'IA ne supprime pas le contact humain, elle le libère
Selon une observation d'Aurélien Fenard, directeur de la transformation digitale et des données RH chez France Travail, les managers consacrent environ 40% de leur temps à des tâches administratives et digitales. L'impact contre-intuitif de l'IA est ici limpide : en automatisant une partie de ces processus, elle pourrait libérer de 5 à 10 % de leur temps, soit jusqu'à une demi-journée par semaine pour chaque manager.
Ce temps gagné n'est pas destiné à optimiser davantage les tableurs, mais à renforcer le lien humain, le contact avec les collaborateurs et la dynamique d'équipe. C'est l'objectif affiché par Aurélien Fenard. Concrètement, France Travail a par exemple mis en place un agent conversationnel pour aider les gestionnaires à naviguer dans les procédures administratives, leur permettant de se concentrer sur des missions à plus forte valeur humaine.
2. L'IA peut prédire qui va démissionner
Chez Roquette, Pauline Scieszyk, responsable système d’information RH et de la data, a développé un cas d'usage audacieux : un module de prédiction du risque de démission basé sur les données RH internes comme les historiques de départ, le type de poste, l’ancienneté et le site. De manière surprenante, le modèle s'est avéré fiable, confirmant des départs effectifs dans plusieurs cas où le risque détecté était supérieur à 70%.
Cependant, Pauline Scieszyk précise immédiatement la nature de cet outil : il ne s'agit "pas une science exacte, ni un outil décisionnel en soi", mais bien d'un "élément complémentaire" au jugement humain du manager. L'objectif final est d'utiliser cette information pour anticiper les risques et affiner les plans d'action RH afin de mieux retenir les talents.
3. L'IA devient un coach personnel pour les managers
Chez Alan, après avoir exploré des cas d'usage simples comme la création de prototypes ou l'analyse de sondages d'engagement, l'IA a pris une dimension plus stratégique. Paul Sauveplane, Secrétaire général et DRH d’Alan, a déployé une approche innovante en mettant des modèles d'IA, entraînés sur un "socle RH solide", directement dans les mains des managers. Cet outil leur offre un appui autonome pour des situations quotidiennes, comme la préparation d'un entretien ou la gestion du retour d'un congé maternité.
Une fonctionnalité clé assure que l'humain reste au centre : dans les situations les plus sensibles, l'IA est entraînée pour alerter et signaler la nécessité d'un accompagnement par un expert RH. Selon Paul Sauveplane, le bénéfice est double. L'IA devient un "créateur de lien", car elle permet aux équipes RH de détecter les signaux faibles plus tôt et ainsi de mieux jouer leur rôle stratégique de conseil.
4. L'IA ne remplace pas le recruteur, elle le rend plus rigoureux
Des entreprises comme Openclassrooms et Mirakl intègrent l'IA à plusieurs étapes du recrutement, non pas pour remplacer le jugement humain, mais pour le renforcer. Stéphanie Fraise, DRH d’Openclassrooms, cite des exemples concrets : relire les fiches de poste pour en améliorer la clarté, générer des questions pertinentes pour les candidats et, surtout, comparer objectivement leurs réponses à des cas pratiques en se basant sur un corrigé pré-établi.
Ce principe est fondamental, comme le souligne Amélie Richardson, DRH Groupe de Mirakl, dans une affirmation sans équivoque :
Toutes les décisions restent prises par des humains et le resteront. Il n’y a pas de débat à ce sujet.
L'IA n'est donc pas utilisée pour décider à la place des humains, mais pour apporter plus de rigueur, d'objectivité et un sourcing élargi à l'ensemble du processus de recrutement.
5. L'IA est un marathon, pas un sprint, qui redéfinit le métier de DRH
L'intégration de l'IA est une transformation de fond qui exige une vision à long terme, comme l'illustre Vincent Chanron, DRH du groupe Daher, avec une métaphore parlante :
L’intelligence artificielle est un marathon qui démarre vite : il faut agir à court terme tout en pensant au long cours.
Selon lui, l'IA ne va pas faire disparaître les métiers, mais va "profondément changer les compétences attendues", de la même manière que les logiciels de conception ont transformé le quotidien des ingénieurs sans remplacer leur expertise.
Cette vision est partagée par Béatrice Towarnicki de l'ANDRH, qui estime que l'IA permet aux professionnels des RH de se recentrer sur leur plus grande valeur ajoutée : l'accompagnement humain, l'ingénierie des transformations et la construction d'organisations "plus humaines et plus efficaces". Sa conclusion est une vision prospective forte pour la profession : le DRH de demain sera "l’architecte des organisations".
Conclusion
Finalement, l'impact le plus puissant de l'intelligence artificielle sur les ressources humaines n'est peut-être pas là où on l'attendait. Loin de remplacer l'humain, elle semble l'augmenter en lui redonnant du temps, des informations plus fiables et des outils plus pointus pour se concentrer sur des tâches à haute valeur ajoutée : l'écoute, la stratégie et l'accompagnement.
Et dans votre entreprise, êtes-vous prêts à utiliser l'IA non pas pour réduire l'humain, mais pour le multiplier ?