
Alors que le débat sur l'intelligence artificielle oscille entre promesses de révolution et craintes de disruption, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) françaises tracent une voie singulière. Loin des stratégies monumentales des grands groupes, elles adoptent une approche pragmatique, efficace et riche d'enseignements. Cet article décrypte les leçons les plus contre-intuitives tirées de leur expérience, démontrant une agilité qui pourrait bien devenir la norme.
1. Oubliez les plans sur 5 ans : l'IA se déploie au cas par cas
Contrairement aux grandes entreprises qui élaborent des feuilles de route structurées, les ETI adoptent l'intelligence artificielle de manière plus fragmentée. Cette approche n'est pas seulement un choix culturel, mais une nécessité stratégique. Dans un contexte de tensions budgétaires, les dirigeants doivent arbitrer entre des investissements concurrents comme l'IA, la cybersécurité, la décarbonation ou la relocalisation. L'IA est donc guidée par la recherche de valeur immédiate sur des cas d'usage concrets et mesurables.
Cette philosophie est parfaitement illustrée par la mutuelle Garance, qui a initié sa transition vers l'IA "sans dogme ni plan quinquennal". L'accent a été mis dès le départ sur des applications pratiques, capables de générer un retour sur investissement rapide et visible sans nécessiter une refonte complète de l'organisation.
« L’IA est arrivée chez nous par des cas d’usage très concrets, intégrables sans recruter une armée de data scientists. »
— Laurent Tilhac, Directeur Data et Systèmes d’Information, Garance
2. Pas besoin d'une armée de spécialistes : la révolution des solutions « sur étagère »
Le succès de l'IA dans les ETI ne repose pas sur le développement interne de modèles complexes, mais sur l'intégration intelligente de solutions existantes. La clé est de s'appuyer sur un socle technique agile pour connecter des outils "sur étagère". Garance, par exemple, a capitalisé sur son socle API MuleSoft pour intégrer rapidement des solutions de reconnaissance de documents déjà "APIsées", ce qui a considérablement accéléré le déploiement et maîtrisé les coûts.
Deux cas d'usage illustrent cette efficacité :
La souscription automatisée via la reconnaissance de documents, qui élimine les ruptures dans les parcours clients.
Le traitement automatisé des changements de RIB, où la lecture, la validation, la génération de mandat et l'archivage se font sans aucune intervention humaine.
« Il faut arrêter de penser que l’IA impose de tout réinventer et de développer des solutions en interne. Il existe des solutions performantes, accessibles, qui ne demandent pas de tout construire soit même. »
— Laurent Tilhac, Directeur Data et Systèmes d’Information, Garance
3. N'interdisez pas l'IA générative : accompagnez les usages pour mieux les maîtriser
L'approche culturelle est tout aussi cruciale que la technologie. Lorsque la direction de Garance a découvert que de nombreux collaborateurs utilisaient déjà ChatGPT, sa réaction n'a pas été d'interdire, mais d'encadrer. Cette posture responsable va au-delà d'une simple ouverture d'esprit : il s'agit d'une stratégie de gestion des risques sophistiquée. Les outils sont testés, audités (notamment sur le volet RGPD) et ne sont intégrés que s'ils respectent les exigences du RSSI (Responsable de la Sécurité des Systèmes d'Information) et du DPO (Délégué à la Protection des Données).
Les actions concrètes mises en place par la mutuelle incluent :
Le déploiement d'une licence Enterprise pour sécuriser les usages.
L'organisation de sessions de formation obligatoires pour tous.
La mise en place d'ateliers sur le "prompt engineering" pour améliorer l'efficacité.
Une sensibilisation systématique aux biais potentiels de l'IA.
« On ne voulait pas brider, mais encadrer. Interdire, c’est inefficace. Il faut accompagner les usages, tout en posant des garde-fous clairs. »
— Laurent Tilhac, Directeur Data et Systèmes d’Information, Garance
4. L'inspiration ne vient pas des géants, mais des pairs
L'un des principaux freins à l'adoption de l'IA pour les dirigeants d'ETI est paradoxalement le manque de repères pertinents. Comme le souligne Florence Naillat, déléguée générale adjointe du METI, les exemples spectaculaires des grands groupes ne sont pas transposables et peuvent même être intimidants.
Les dirigeants ont besoin de s'inspirer d'entreprises de taille similaire, confrontées à des défis comparables. C'est la raison d'être d'initiatives comme le plan gouvernemental "Osez l’IA", dont le METI est partenaire. L'urgence est réelle : alors que seuls 13 % des PME utilisent l'IA aujourd'hui, l'objectif du plan est que 80 % des ETI et PME s'en emparent. Valoriser les initiatives pionnières est donc essentiel pour créer un écosystème d'entraide et partager les bonnes pratiques.
« Ce qui manque aux dirigeants, ce sont des exemples concrets dans leur écosystème proche. Pas chez les grands groupes, mais des cas d’usage chez des pairs, sur des sujets comparables. »
— Florence Naillat, déléguée générale adjointe du METI
Conclusion
L'approche des ETI françaises face à l'IA est un modèle de pragmatisme stratégique. Elles démontrent qu'il est possible de progresser rapidement en se concentrant sur la valeur, en misant sur la pédagogie plutôt que la restriction, et en s'appuyant sur l'écosystème technologique existant. Leur succès repose sur une leçon fondamentale : ne pas confondre autonomie et isolement technologique. En utilisant des solutions externes pour rester agiles, elles conservent leur maîtrise stratégique sans se couper des innovations du marché.
Plutôt que de se demander "Quelle est notre grande stratégie IA ?", la bonne question pour commencer ne serait-elle pas simplement : "Quel est notre prochain cas d'usage à fort impact ?".