
Introduction : Le paradoxe de l'IA générative en entreprise
L'enthousiasme des grands groupes pour l'intelligence artificielle générative est palpable. Partout, les projets se multiplient, portés par la promesse d'une transformation radicale des métiers et des processus. Pourtant, une réalité brutale se cache derrière cette effervescence. Selon un rapport du MIT, “GenAI Divide”, le chiffre est sans appel : 95 % des projets d'IA générative échouent à atteindre le stade de la production. Mais ce même rapport révèle un point de divergence notable : les projets menés en partenariat avec des startups affichent un taux de succès significativement plus élevé. Cet écart colossal entre l'expérimentation et l'impact réel soulève une question cruciale : que font différemment ces partenariats réussis ?
Cet article explore les raisons profondes de ce taux d'échec et les leçons contre-intuitives que les collaborations avec les startups peuvent nous apprendre. Nous verrons que le succès ne dépend pas seulement de la technologie, mais d'une série de changements bien plus profonds, de la stratégie à l'adoption par les utilisateurs. Voici les leçons clés à retenir :
Leçon n°1 : Nous sommes revenus à l'ère du "web décoratif" de 1995.
Leçon n°2 : Le vrai danger n'est pas le pilote, mais la "vallée de la mort" vers la production.
Leçon n°3 : L'échec vient souvent de l'usage, même avec une technologie parfaite.
Leçon n°4 : Une startup n'est pas une rustine, mais un partenaire stratégique.
Une IA de façade : Le piège du "web décoratif" de 1995
Pour Bruno Zerbib, Chief Technology and Innovation Officer chez Orange, la situation actuelle rappelle étrangement les débuts d'Internet. À l'époque, les entreprises se dotaient de leurs premiers sites web, qui n'étaient souvent que de simples vitrines sans réelle interaction ni impact commercial. Il a fallu près d'une décennie pour que le web se transforme en un véritable moteur de business. L'IA générative se trouve aujourd'hui à ce même point de bascule.
"on est comme en 1995, au moment du web décoratif."
Le plus grand défi n'est donc pas de lancer des projets d'IA, mais de comprendre comment les "opérationnaliser" pour qu'ils créent une valeur durable et mesurable. L'expérimentation est nécessaire, mais elle ne doit pas devenir une fin en soi. Mais passer de cette phase décorative révèle une étape bien plus périlleuse du voyage : le gouffre qui sépare un prototype astucieux d'un système de calibre industriel.
Après le POC, le vide : Traverser la "vallée de la mort" de l'industrialisation
Le passage de la preuve de concept (POC) à l'industrialisation est la phase où la plupart des projets s'effondrent. Igor Carron, CEO de la startup LightOn, résume parfaitement le changement d'échelle radical qui s'opère :
"Généralement, on lance des POC qui fonctionnent sur une dizaine de documents, mais la réalité de l’entreprise c’est des centaines de milliers"
Cette "vallée de la mort" expose toutes les failles d'un projet : gouvernance absente, dette technique, non-respect des règles de conformité ou failles de sécurité. Pour surmonter cet obstacle, il faut comprendre un changement de paradigme fondamental. Cette distinction est précisément là où la plupart des directions informatiques traditionnelles échouent, s'accrochant à une mentalité de livraison de produit à une époque qui exige une gestion opérationnelle continue.
"La GenAI c’est pas un logiciel qu’on livre. C’est un système qu’on opère."
Réussir à traverser cette "vallée de la mort" est une réussite technique monumentale. Pourtant, elle mène à une autre impasse potentielle : construire un système parfaitement fonctionnel et industrialisé dont personne ne se sert.
La meilleure technologie du monde ne sert à rien si personne ne s'en sert
Même un projet techniquement irréprochable et parfaitement industrialisé peut se solder par un échec cuisant si les collaborateurs ne s'en emparent pas. Selon Quentin Amaudry, fondateur de Mendo, une solution spécialisée dans l'adoption de la GenAI, les stratégies de déploiement sont souvent le maillon faible. Les entreprises se contentent de méthodes génériques et sans suivi, vouées à l'échec.
"Généralement, il y a une chaîne de cinq/six mails et trois webinaires, et ensuite plus rien. C’est tellement dommage."
La véritable adoption ne se décrète pas. Elle émerge lorsque les employés découvrent que l'outil ne se contente pas de résoudre une tâche, mais leur permet de repenser des processus entiers. L'objectif n'est pas simplement d'utiliser une nouvelle fonctionnalité, mais d'intégrer "de la GenAI partout, à toutes les étapes" pour réinventer les façons de travailler. Le véritable "aha moment" survient quand un collaborateur réalise qu'un obstacle qui le freinait depuis des années peut enfin être automatisé. C'est à cet instant que des utilisateurs initialement sceptiques deviennent les meilleurs ambassadeurs de la solution.
Partenaire ou pompier ? Le vrai rôle d'une startup IA
Face aux difficultés, la tentation est grande de se tourner vers une startup comme on appellerait un prestataire à la rescousse pour réparer un POC en échec. C'est une erreur de perspective. Les startups ne sont pas des rustines techniques, mais des partenaires stratégiques qui doivent être intégrés dès le début.
L'approche pragmatique du Groupe SEB en est une parfaite illustration. "Nous ne partons pas d’une solution, mais d’un besoin exprimé”, insiste Geoffrey Huber, chef de projet IA. “Le métier exprime un besoin, l’IT évalue si elle a les ressources et les compétences, si c’est pertinent d’internaliser, ou si on va chercher à l’extérieur.” C'est cette logique qui les a conduits à sélectionner un partenaire externe pour déployer une IA conversationnelle, après avoir analysé plus de 50 solutions, car la vitesse et la capacité à passer à l'échelle internationale étaient primordiales.
Les startups apportent leur vitesse et leur expertise pour accélérer l'industrialisation, mais elles ne peuvent pas combler une absence de stratégie. C'est en connectant la technologie aux bons processus et aux bons problèmes que la valeur se crée.
"La valeur ne vient pas du modèle. Elle vient du fait qu’on l’a connecté aux bons endroits."
Conclusion : L'IA n'est pas un projet IT, c'est un projet de transformation
En résumé, le véritable parcours du combattant de l'IA générative n'est pas tant technique que stratégique et humain. Le succès repose sur une transformation en trois actes : passer de l'expérimentation ("web décoratif") à l'industrialisation (traverser la "vallée de la mort"), puis de l'industrialisation à l'adoption massive par les usages. Le tout, guidé par une stratégie de partenariat intelligente et pragmatique.
Dans ce parcours, les startups peuvent être de formidables accélérateurs, à condition d'être considérées comme des partenaires et non comme de simples exécutants. Mais elles ne pourront jamais se substituer à l'essentiel : une vision claire et une culture d'entreprise prête à accepter la rupture qu'impose cette technologie.
Au-delà des technologies, votre culture d'entreprise est-elle vraiment prête pour la transformation que l'IA impose ?