Alexandre, quelles sont les compétences essentielles que vous estimez nécessaires pour préparer vos étudiants aux métiers du futur dans le domaine de la technologie, notamment avec l'avènement de l'IA ?
L'avènement de l'IA facilite la création de nouveaux outils, de nouvelles interfaces et permet de trouver des centaines de nouvelles solutions dans des délais raccourcis. Mais tandis que les solutions potentielles se multiplient, il devient plus nécessaire que jamais d'apprendre à comprendre les besoins des utilisateurs et clients et à se projeter dans l'utilisation de ces produits à moyen termes. La compétence technique s'est déplacée : on ne demande plus de savoir comment résoudre le problème puisqu'un LLM peut nous y aider, mais qu'elle est la solution a privilégier selon un ensemble de données extrêmement importantes : comment accompagner l'utilisation croissante ? est-ce aligné avec les problématiques règlementaires ou légales ? ou sont hébergées les données ? combien d'utilisateurs simultanés ? quels sont les coûts affichés, cachés ?
Les compétences essentielles à avoir n'ont finalement pas changé :
- être capable de comprendre et traduire fidèlement les besoins des utilisateurs (UX)
- avoir une connaissance profonde des architectures techniques et de leurs dépendances,
- savoir prendre en compte les contraintes (économiques, juridiques) et les objectifs des clients
- avoir la capacité à anticiper les innovations et menaces à venir
- maîtriser le langage des équipes de production
- savoir faire des choix et les justifier
En 2026 plus que jamais, il sera nécessaire de s'extraire du simple apprentissage du fonctionnement d'outils ou de framework pour mettre l'accent sur ce que cherchent les employeurs : des professionnels qui connaissent les solutions et qui ont un avis.
En quoi l'IA a-t-elle transformé votre approche en ingénierie pédagogique à HETIC, et comment cela influence-t-il vos méthodes d'enseignement ?
HETIC a toujours eu un temps d'avance sur la pédagogie en mettant l'accent sur un apprentissage autour de la résolution de problèmes concrets et dans l'ère du temps. Il faut rester centré sur ce point extrêmement important : apprendre à nos étudiants à devenir indispensables en entreprise car ils ont compris comment résoudre des problèmes grâce à la technologie. L'IA est fascinante par sa capacité à aider à trouver des réponses plus rapidement et simplement, mais encore faut-il savoir prendre les bonnes décisions.
On pourrait penser que la pédagogie d'une école de technologie s'est accélérée sur la maîtrise technique des outils. Mais en réalité l'IA a ravivé la nécessité de réapprendre les bases, de comprendre ce qui se cache derrière les interfaces et de réfléchir plus, car on va produire moins. Les étudiant-es sont donc mis dans ces situations ou ils/elles sont encore plus au contact de clients réels, sur des projets concrets, avec des restitutions orales de leur travail afin de ne pas s'échapper à la facilité d'une restitution écrite de connaissances qui serait obsolète dans un an et qui ne leur aurait rien appris.
Vous êtes passionné par l'innovation et les relations humaines. Comment voyez-vous l'IA jouer un rôle dans l'amélioration ou le renforcement des interactions humaines dans un cadre professionnel ?
J'en reviens systématiquement à ce qui est écrit plus haut. Plus de technologie nécessite encore plus d'échanges entre humains. La "tech" doit avoir pour ambition de nous servir et de nous rendre la vie plus agréable. Pour cela il faut donc comprendre la sociologie, les motivations intrinsèques des humains à l'utiliser et a en faire leur alliée, tout en s'attachant à l'utiliser de manière éthique et utile. On passe probablement trois fois moins de temps à coder grâce aux outils actuels, passons donc trois fois plus de temps à étudier l'impact que ce que nous faisons aura sur notre société d'Humains.
En tant qu'investisseur dans plusieurs startups technologiques, comment évaluez-vous le potentiel d'une startup IA ? Quels critères sont pour vous déterminants avant de prendre une décision d'investissement ?
Je me pose systématique la même série de questions :
- quel problème le produit va-t-il résoudre ?
- quelle barrière a l'entrée y a-t-il pour arriver au résultat attendu ?
- l'équipe qui gère le projet/produit est-elle la meilleure pour le faire ?
Avec l'IA, les réponses à ces trois questions ont forcément changé d'échelle, notamment sur la capacité de la technologie à permettre l'atteinte d'un résultat impressionnant au niveau du produit. La stratégie de branding, de gotomarket et de vente aura donc un poids supplémentaire (au travers de la composition et des compétences de l'équipe notamment), mais pas uniquement, car c'est la tech qui doit rester, selon moi, le point de décision d'un pari d'investissement ou non.
L'éthique dans l'IA est un sujet brûlant. Comment introduisez-vous cette question cruciale dans vos programmes à HETIC pour sensibiliser les futurs professionnels du secteur ?
Nous demandons systématiquement à nos étudiant-es de répondre à une question au début et à la fin de leurs projets : est-ce que ce que je vais, ou ai réalisé, contribue à un monde meilleur pour les humains, ou est tout simplement inutile ? Cela peut paraître un peu naïf mais les oblige à avoir un avis critique sur leur contribution à notre société. Notre capacité démultipliée à produire des contenus et à les diffuser doit poser la question de la consommation des ressources et passe par cette simple question. Il en est de même pour une demande d'un client et le choix qu'ils auront à faire demain d'accepter de faire des choses qui vont à l'encontre de leurs valeurs contre de l'argent.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes professionnels désirant se lancer dans l'IA, en termes de compétences à développer et de secteurs prometteurs à explorer ?
J'ai déjà résumé beaucoup des choses qui sont à maîtriser dans les questions précédentes. Mes trois conseils aux professionnels de la tech de demain sont beaucoup plus simples que l'on ne pourrait le croire :
- 1 comprenez (vraiment) comment fonctionne la technologie que vous utilisez ; ouvrez le capot !
- 2 sachez : vous devez connaître chaque innovation, chaque mouvement majeur, chaque nouvelle technologie, entreprise créée, succès, échec, mouvement du marché qui arrive sur votre secteur car c'est votre connaissance qui fera de vous un expert, et absolument pas votre seule compétence technique. Pour cela il faut passer beaucoup de temps à faire de la veille.
- 3 ayez un avis : j'embauche (et admet dans l'école) uniquement des gens qui ont avis sur la technologie et qui peuvent le justifier par leur capacité à avoir les point 1 et 2. Car se sont les personnes qui iront le plus loin !
Tous les secteurs et toutes les entreprises sont maintenant "technologiques" : l'agriculture, la santé, la mode, le retail... Vos compétences (soft & hard skills) seront utiles à toutes les organisations de demain.
Avec votre expérience diversifiée en SEO Technology et marketing digital, comment anticipez-vous l'évolution de ces secteurs sous l'influence croissante de l'IA dans les prochaines années ?
C'est un secteur qui est profondément bouleversé et pour lequel les innovations ont un impact majeur sur son économie, mais qui apporteront un bénéfice direct pour les utilisateurs. Il y a probablement des avis divergents sur l'utilité (et l'éthique) de la publicité et du marketing en ligne, mais ce qui est en train d'arriver va définitivement en améliorer l'expérience. Comme pour tout virage il y a des déviances auxquelles il faudra faire attention, mais je trouve que la capacité d'ultra personnalisation du marketing est un univers passionnant. Si je dois donner mon avis je dirais qu'il y aura probablement moins d'acteurs à l'avenir et il faudra batailler pour continuer à en vivre aussi bien que par le passé. Pour y survivre, il faudra clairement s'appuyer davantage sur la technologie.
Directeur Général de HETIC dont il a été diplômé en 2011, Alexandre Sigoigne a plus de 10 ans d'expérience dans l'industrie du SEO et des agences de premier plan. Entrepreneur fondateur de Myposeo et spécialiste du marketing digital, il accompagne des startups en les conseillant sur leur stratégie go-to-market. Alexandre est passionné par les données, l'innovation et les technologies. Il forme chaque année plus de 1000 étudiants.