Thomas, vous avez une expérience impressionnante dans l'intégration de l'IA avec la transition énergétique. Pourriez-vous partager un moment clé où vous avez réalisé le potentiel de l'IA dans ce secteur?
Mon parcours m’a amené à croiser très tôt l'impact du numérique sur les grands défis collectifs : d’abord dans l’action publique au cabinet du ministre du Numérique, puis en tant qu'investisseur chez Founders Future, en charge de la thèse Énergie/Climat. C’est en investissant chez Tilt Energy que l’évidence s’est imposée : face aux tensions sur les réseaux électriques (intégration de renouvelables, électrification de la mobilité et du chauffage), l'optimisation fine de la consommation par l'IA n’était pas juste un gadget, mais une nécessité systémique. Un moment décisif fut la démonstration que leurs algorithmes pouvaient, en condition réelle, prévoir la consommation, prendre le contrôle à distance et effacer des consommations sur des bâtiments tertiaires sans perte de confort, avec seulement quelques jours d'apprentissage. Cela rendait enfin la flexibilité accessible aux 'petits' consommateurs non industriels et donc scalable — exactement ce dont la transition énergétique a besoin.
En tant que Chief Growth Officer chez Tilt Energy, comment voyez-vous l'évolution de l'IA frugale et son impact sur la flexibilité énergétique?
L’IA frugale est une révolution discrète. Elle consiste à concevoir des modèles sobres en ressources (calcul, data, cloud), mais extrêmement efficaces sur des tâches ciblées et avoir plus d'impact - faire plus avoir moins en quelques sorte. Dans la flexibilité énergétique, c’est fondamental : nos modèles doivent être capables de piloter des milliers d’appareils hétérogènes, avec des prédictions en temps réel, sans dépendre d’une puissance informatique énorme. Contrairement à l’IA générative qui est très médiatisée, l’IA appliquée à la flexibilité, prédictive, repose sur de la modélisation, de l’optimisation, et du contrôle. Cette IA pragmatique permettra demain à chaque bâtiment d'agir comme un mini-acteur du réseau électrique, tout en réduisant sa facture et son empreinte carbone.
Comment l'expérience que vous avez acquise en tant que Board Member a-t-elle influencé votre approche actuelle de la croissance utilisant des outils d’IA?
Être Board Member dans plusieurs startups m’a donné une vision très nette : l’IA n’a de valeur qu’à partir du moment où elle répond à un problème métier précis et mesurable. Chez Tilt, cette conviction structure notre croissance : nous développons une IA tournée vers la performance opérationnelle (euros, kWh, CO₂) et non vers la performance algorithmique théorique. Cela veut dire : industrialiser rapidement nos modèles, assurer leur robustesse en conditions dégradées, simplifier leur déploiement. C'est cette approche orientée 'résultat métier' qui nous permet de passer d’une innovation technologique à un véritable levier de business scale-up.
La transition énergétique est cruciale pour la lutte contre le changement climatique. Quels défis particuliers avez-vous rencontrés lors de l'application de l'IA pour rendre les bâtiments plus efficaces énergétiquement?
Le principal défi est l’infrastructure de données. Beaucoup de bâtiments, même récents, ont des systèmes GTB (Gestion Technique du Bâtiment) peu ouverts et peu connectés. Il faut donc une IA capable de 'faire avec' ce qui existe. Un autre défi est comportemental : on doit convaincre des gestionnaires d’actifs, des facility managers, parfois sceptiques, que l'IA peut piloter intelligemment sans compromettre le confort ou la sécurité. C’est pourquoi nous avons mis l’accent sur la transparence totale des actions de l'IA et sur des seuils de confort intangibles. L'acceptabilité humaine est aussi importante que la performance technique.
Pourriez-vous expliquer comment Tilt Energy a développé une stratégie unique qui a mené à la reconnaissance lors des Perifem Awards 2025?
Notre stratégie repose sur trois piliers. D'abord, une spécialisation sur les 'flexibilités diffuses', c’est-à-dire l'optimisation de la valorisation d'actifs de taille petite et intermédiaire (magasins, bureaux). Ensuite, une intégration technologique très légère : notre solution est 100% software, agnostique aux marques d’équipements, déployable sans CAPEX, sans OPEX. Enfin, un alignement économique clair avec nos clients : nous ne nous rémunérons que sur les revenus générés, sans frais fixes. C’est cette approche, à la fois technologique et commerciale, qui nous a permis d’être reconnus aux Perifem Awards et de convaincre des acteurs majeurs du retail.
Avec votre rôle chez Founders Future, quelles nouveautés technologiques dans l'IA, voyez-vous progressivement émerger dans le secteur climatique, et comment pourraient-elles transformer notre approche de l'énergie?
Nous assistons à une accélération majeure autour des jumeaux numériques énergétiques. Initialement utilisés dans l’industrie lourde, ils sont en train de devenir des outils stratégiques pour les infrastructures énergétiques et les bâtiments. Un jumeau numérique énergétique d'un bâtiment, c’est un modèle dynamique qui simule son comportement thermique, électrique et opérationnel en temps réel. Cela va évidemment accélérer la transformation des consommateurs d'énergie en acteur du système. L’IA devra aussi orchestrer tout cela de façon fluide et invisible pour l'utilisateur final.
En regardant vers l'avenir, comment anticipez-vous l'évolution de la collaboration entre l'IA et les technologies énergétiques et quels en seraient les impacts majeurs sur les politiques énergétiques globales?
Je pense que l'IA et l'énergie vont converger autour d’un principe : l’optimisation permanente sous contrainte de sobriété permettant à toujours plus de renouvelables d'intégrer les mix énergétiques et toujours plus d'usages d'être électrifiés. La flexibilité étant un levier important de compétitivité, les politiques énergétiques devront intégrer des mécanismes de flexibilité dès la conception des infrastructures, soutenir l’interopérabilité des équipements, et promouvoir des standards ouverts et l'homogénéisation en Europe. À terme, on pourrait voir émerger des obligations de flexibilité pour les grands consommateurs, analogues aux obligations d’efficacité énergétique. Cela transformera profondément la manière dont nous pensons les bâtiments, les villes et les réseaux : du rigide vers l’adaptatif, du centralisé vers le distribué.
Thomas Bajas est le Chief Growth Officer chez Tilt Energy, où il a été recruté il y a six mois après avoir occupé le poste de Board Member pendant un an et neuf mois. Il est également Climate Tech Venture Partner chez Founders Future depuis janvier 2025 et a précédemment été Principal dans cette entreprise. Thomas a une expérience antérieure en tant que Chief of Staff au sein du Cabinet du Ministre du Numérique.
Il est diplômé d’un Master en Économie et Ingénierie Financière de l’Université Paris Dauphine-PSL et possède un BBA en Finance de la Handelshøyskolen BI.