Dialoguer avec l’IA : une nouvelle grammaire pour la créativité ! (Yohann Chabuel, Campagne)

Yohann, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le rôle de Directeur Artistique augmenté et comment l'IA est intégrée dans votre travail quotidien ?

Le rôle d’un Directeur Artistique « augmenté » consiste à amplifier ses capacités créatives, à explorer davantage de pistes en un temps réduit, et à atteindre plus rapidement un niveau de finalisation élevé. Cela ne signifie pas produire plus pour produire plus, mais produire mieux, avec davantage de précision et de profondeur dans l’intention.

Pour cela, la maîtrise des outils d’intelligence artificielle générative est essentielle. Mais il ne suffit pas de les utiliser : encore faut-il entrer en dialogue avec eux. Trop souvent, on se contente de la première réponse générée, alors que c’est dans l’affinage, le questionnement, et l’exigence que naît la vraie valeur.

Je transmets cette approche dans les écoles supérieures de la région lyonnaise, notamment à CREAD (architecture d’intérieur), et désormais auprès d’entreprises via des formations prises en charge par les OPCO.

Dans mon quotidien, les IA me permettent non seulement de produire plus efficacement, mais surtout d’aller plus loin dans la phase d’idéation, de prototypage et de combinaison stylistique. Bien utilisées, elles ouvrent des territoires visuels inédits.

Mais attention : un bon visuel est à la portée de tous. Le vrai défi, c’est de créer le visuel que l’on a en tête. Cela demande méthode, rigueur… et une bonne dose d’esprit critique.

Et si nous exigeons des réponses précises, alors nos prompts doivent l’être aussi.

À votre avis, comment l'IA générative redéfinit-elle le processus créatif dans les secteurs du luxe, de l'architecture d'intérieur et du design produit ?

Je ne pense pas que l’IA redéfinisse fondamentalement le processus créatif – en tout cas pas encore. En revanche, elle le dynamise à plusieurs niveaux, en apportant des leviers puissants d’exploration et d’accélération.

Les tests de Turing démontrent aujourd’hui que certaines IA atteignent des niveaux de performance cognitive supérieurs à ceux des humains, sur des tâches bien précises. Ce serait dommage de ne pas les intégrer intelligemment à nos démarches créatives.

Mais attention : la création de valeur repose toujours sur la vision humaine. L’IA ne remplace pas l’intuition, l’expérience ni la sensibilité du créatif. Elle est là pour enrichir ces dimensions, pas pour les diluer.

Dans le luxe, le design produit ou l’architecture d’intérieur, l’IA devient un outil stratégique lorsqu’elle est mise au service d’un projet singulier. Celui ou celle qui sait en faire un prolongement de sa créativité dispose d’un avantage considérable.

En tant que formateur en IA générative, quelles compétences ou connaissances considérez-vous essentielles pour les professionnels qui souhaitent exploiter ces technologies dans leur domaine créatif ?

Après avoir formé plus de 850 étudiants et plus de 110 professionnels ces deux dernières années, trois compétences me semblent fondamentales :

1 - L’esprit critique : Il est impératif de garder le contrôle. L’IA ne doit jamais décider à votre place. Notre exigence en tant que créatifs reste la boussole. Savoir distinguer une réponse satisfaisante d’une réponse pertinente est essentiel.

2 - L’agilité : Le rythme de transformation est vertigineux. Ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera plus demain. S’accrocher à un savoir figé est un risque. L’ouverture, la curiosité, la capacité à tester et à apprendre en continu sont devenues vitales.

3 - La capacité à visualiser l’inconnu : Une fois la technique maîtrisée, vient le temps de l’exploration. Ce que j’encourage, c’est d’aller là où personne n’a encore été, de chercher ce qui n’a pas de précédent, de repousser les limites de notre imagination assistée.

Quels sont les défis que vous avez rencontrés lors de l'intégration de l'IA dans des projets créatifs, et comment les avez-vous surmontés ?

Le défi le plus courant, c’est la fidélité du résultat généré par rapport à l’idée de départ. Traduire une intention précise dans un prompt efficace est un art en soi.

Quand l’IA interprète mal une demande, c’est rarement une erreur « de l’IA ». C’est souvent un signal que notre formulation doit être repensée. Cela peut générer une perte de temps, mais aussi de belles surprises quand l’inattendu ouvre des portes nouvelles.

Avec l’expérience, cet aller-retour devient plus fluide. Aujourd’hui, je me surprends même à penser spontanément en langage de prompt. Une sorte de réflexe professionnel…
C'est grave docteur ?

Comment voyez-vous l'évolution de la collaboration entre les artistes et l'intelligence artificielle dans les années à venir ? Pensez-vous que l'IA modifie fondamentalement ce qu'être un artiste signifie ?

L’IA est une opportunité incroyable pour les artistes – encore plus peut-être que pour les créatifs. Un artiste est, par nature, un explorateur. Et l’IA est un formidable outil d’exploration.

De nombreux artistes s’en emparent déjà pour créer des œuvres saisissantes, hybrides, inattendues. Certains prolongent leur perception du monde, d’autres en inventent carrément de nouveaux.

Pour ma part, je ne me considère pas comme un artiste. Mais je navigue entre les univers virtuels des IA génératives et la matière bien réelle de la sculpture sur pierre, chez moi à la campagne. Ce double ancrage m’aide à garder les pieds sur terre… pendant que mes mains, elles, tutoient les étoiles.

Pouvez-vous partager un exemple concret où les outils d'IA comme ChatGPT ou Midjourney ont permis d'enrichir ou de transformer un projet créatif que vous avez dirigé ?

Il y en aurait des dizaines ! Mais un projet m’a particulièrement marqué : à l’école CREAD, j’ai proposé à mes étudiants un exercice consistant à fusionner deux styles artistiques distincts.

Ils devaient identifier les symboles clés de chaque style, puis concevoir un prompt intégrant ces éléments dans une proposition d’espace intérieur. Les résultats ont largement dépassé les attentes : originaux, cohérents, parfois même poétiques.

Aujourd’hui, nous allons encore plus loin, en combinant plusieurs IA – texte, image, vidéo – dans des projets globaux. La synergie des outils ouvre des perspectives créatives qui étaient simplement inimaginables il y a encore deux ans.

Pour moi, il est désormais inconcevable de ne pas intégrer l’IA dans mon processus de création.

Avec votre expérience en conseil en communication et stratégie de marque, comment l'IA change-t-elle la façon dont les marques communiquent leur identité et interagissent avec leur public cible ?

L’IA transforme en profondeur les approches stratégiques des marques. Elle permet :

- d’analyser les signaux faibles issus des données pour mieux cerner le positionnement réel d’une marque,

- de simuler différents scénarios d’évolution, en fonction des objectifs visés,

- puis de planifier des actions ciblées, mesurables et adaptables.

Chaque marque est unique, et c’est cette singularité que l’IA permet de faire émerger plus vite et plus clairement, à condition que les données soient bien structurées.

Demain, des agents autonomes entraînés sur les données internes des entreprises dialogueront entre eux pour générer des solutions complexes en quelques secondes. Ce n’est plus de la science-fiction : c’est pour très bientôt.

Notre rôle est donc double : tirer parti de cette puissance tout en gardant le cap sur les valeurs d’éthique, d’écologie et d’alignement. Car si la technologie est déjà prête, notre responsabilité collective, elle, doit encore s’affirmer.

Mon rôle, aujourd’hui, est d’accompagner celles et ceux qui souhaitent en faire un outil d’excellence, sans perdre leur singularité.

Vous êtes curieux d’en savoir plus, ou souhaitez participer à une formation ? Je serais ravi d’échanger avec vous.
N’hésitez pas à me contacter pour connaître les prochaines dates de session ou envisager un accompagnement sur mesure. Mes interventions auprès des entreprises peuvent être totalement ou partiellement financées par les Opco.


Yohann Chabuel est Directeur Artistique augmenté et Formateur en IA générative, basé à Lyon mais intervenant partout en France. Il co-fonde Super Pôle IA, une initiative visant à intégrer l'IA dans l'éducation. Ambassadeur de l'ANIA en Auvergne-Rhône-Alpes, Yohann a formé plus de 1000 professionnels et étudiants sur des outils comme ChatGPT et l'ensemble des IA génératives multimédia (image, son, vidéo) orientées métier, ciblant les secteurs du luxe et du design. Il intervient également auprès d'établissements liées aux industries créatives (mode, design produit, architecture d'intérieur, design graphique, ...) et enseigne le Design Thinking. Enfin, en tant que membre du CFAI (Conseil Français des Architectes d'Intérieur), Yohann accompagne les professionnels du secteur à adopter l'IA dans leurs processus métier.

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