Les enjeux de l'IA dans l'audiovisuel (Stephan Kalb, Seconde Vague Productions)

Stephan, pouvez-vous nous raconter comment vous êtes passé d'acteur de théâtre à producteur de fictions et documentaires, et comment votre parcours a influencé votre intérêt pour l'intelligence artificielle appliquée à l'audiovisuel ?

J'ai d'abord été comédien dans une quarantaine de spectacles. J'ai aussi été assistant au Conservatoire National, puis l'assistant d'un directeur d'une Scène Nationale où je faisais à la fois de la programmation et de la production de théâtre. En parallèle du plateau, j'ai fait beaucoup de voix-off (tv, radio, pub, dessins animés, documentaires etc…). En 2015, je me suis lancé dans l'écriture après une formation d'auteur et j'ai créé ma première société dans laquelle je créais des concepts de séries. Tout cela m'a ensuite naturellement mené à la production déléguée, métier dans lequel je peux faire appel aux différentes compétences que j'ai acquises au fil du temps. Pour moi le fil rouge est assez organique et logique.

Concernant l'IA, je l'ai d'abord abordée sur le plan de la protection des œuvres et des artistes car je suis le porte-parole français de la fédération mondiale du doublage, suite à mon parcours dans les voix enregistrées.

Avec votre expertise en automatisation et IA dans le cadre de la production audiovisuelle, quelles opportunités et défis identifiez-vous pour les créateurs de contenu à l'ère numérique actuelle ?

Le premier défi est de travailler dans le cadre du RGPD, du respect des artistes, des producteurs et de la chaîne de droits. Nous sommes à l'ère du western numérique et le shérif 3.0 va bientôt sortir du bois. Il est important de ne pas faire n'importe quoi ! Ensuite, le défi est de travailler en hybridation et de ne pas considérer que l'automatisation doit, ou va, tout remplacer. Car il y a beaucoup d'angles morts dans l'IA, comme la transmission du savoir et de l'expérience humaine. Mon métier actuel est le résultat d'une somme d'apprentissages. La machine peut et va remplacer de nombreux aspects de mon métier, c'est certain. Elle promet de la rapidité d'exécution et de calcul. Elle promet aussi des gains de productivité… tant qu'elle est bon marché, ce qui ne va pas durer. Mais l'IA ne pourra pas remplacer l'expérience et les échecs qui vont avec. L'IA n'aime pas échouer, elle ne comprend pas le concept. Or l'échec est l'apprentissage le plus fondamental de tout parcours humain. Plus que jamais, il est important de considérer que si la machine peut faire des choses à notre place, plus vite et "mieux" que nous, il est alors encore plus important de remplir son cerveau pour ne finir aphasique. Je conseille de relire ses classiques et les philosophes, c'est le moment.

Comment l'intelligence artificielle transforme-t-elle le processus de storytelling dans les projets que vous développez, et quelles implications cela a-t-il sur la créativité humaine ?

Elle facilite la création graphique de dossiers, la recherche de documentation sur des modèles d'IA conçus pour ça (notebook lm par exemple), elle permet aussi d'être un sparring partner efficace sur des créations de concepts et de récits… Mais là aussi, les agents IA doivent être cadrés et pensés comme tels par l'utilisateur, car sinon le risque normatif est immense. La créativité implique l'erreur consciente, telle n'est pas la logique des IA génératives, à ce jour.

En tant que formateur en communication orale et expert en IA, comment envisagez-vous que ces technologies redéfinissent les compétences nécessaires dans l'industrie audiovisuelle ?

Je parie sur la singularité des individus. Bien entendu, il est important de se former sérieusement aux outils, au prompt engineering, à l'automatisation… pour comprendre de quoi on parle. Ces compétences sont des basiques et ils sont évolutifs. Car rien qu'en un an, le nocode a fait des bonds de géant et plus on avance plus ça devient accessible, à condition d'avoir intégré les bases. Tout cela amène donc à penser que le plus important dans les années à venir sera sans doute la culture générale et la pensée complexe. Que l'on soit ingénieur ou créatif, il faut lire des livres, aller au musée, au théâtre, écouter de la musique, regarder des films, apprendre des choses nouvelles, s'engager pour les autres et le bien commun.

Les projets narratifs que vous développez s'adressent à un public global. Pensez-vous que l'IA peut aider à personnaliser et à adapter les contenus pour des audiences culturelles différentes, et si oui, comment ?

Oui, les IA analyseront les goûts et les tendances du public, au risque là aussi d'une trop grande normalisation si on s'en contente. Ça passera par la télévision connectée et par l'expérientiel. Mais ce qui fera la différence, ce seront l'originalité et la singularité des contenus et des propositions artistiques. Il importe donc de rester connecté à sa créativité et de rester concentré sur ce qui fait sens pour soi. Comme le fait dire Voltaire à Candide, "il faut cultiver son jardin".

Pour vos interventions dans des événements liés à l'IA et à l'audiovisuel, quels sont les arguments les plus convaincants que vous utilisez pour démontrer l'impact potentiel de l'IA sur les industries culturelles ?

L'exemple du remplacement des voix par des IA est assez parlant, sans jeux de mots. Quand on comprend, comment et pourquoi c'est possible, on commence à comprendre que cette problématique va toucher tous les secteurs. La question est donc de choisir ce que nous voulons, à quelle échelle, dans quel but, avec quel impact social, créatif, et aussi écologique. Pour moi la question n'est pas pour ou contre l'IA, il aurait fallu se poser cette question il y a 20 ans. Mais de redevenir sujet de cette révolution. Pour qui, pour quoi ? Et ensuite comment ? Si nous n'arrivons pas à nous formuler ces questions, alors nous ne restons qu'objets de notre destin.

En regardant vers l'avenir, quelles évolutions prévues de l'intelligence artificielle excite le plus le producteur créatif en vous, et comment comptez-vous intégrer ces innovations dans vos projets futurs ?

Ce qui est évident c'est que la post-production et l'image avec les IA ouvrent un champ des possibles en terme de création d'univers. D'abord dans les arts plastiques et numériques. C'est d'ailleurs de ce côté qu'il faut regarder en priorité, bien davantage que les expérimentations de remplacement de ce qui se fait simplement avec une caméra et des acteurs. Les débuts de la photographie et du cinéma ont d'abord été un champ d'exploration d'artistes en rupture du classicisme et des standards de l'époque. Refaire ce qu'on sait déjà bien faire n'a aucun intérêt, c'est assez pauvre. Et ceux qui ne voient qu'un objectif d'économies oublient un point crucial… si c'est gratuit, c'est vous le produit. Et les prix exploseront… Cependant, créer des mondes ou recréer des époques, notamment en documentaire, imaginer des points de vue narratifs innovants et disruptifs en fiction, jouer avec la technologie pour mieux la mettre au service d'un propos, ça c'est très excitant. Et in fine, le vrai juge de paix sera le public. Et j'aime à parier qu'il voudra de l'humain dans les récits. L'émotion reste le centre de gravité de notre existence finie. Sauf si l'IA tue la mort… Vous avez deux heures :)


Producteur délégué, Stephan Kalb dirige Seconde Vague Productions, développe et produit des projets de fiction et des documentaires en France et à l’international. Il est formé au prompt engineering et à l’automatisation et il explore l’impact de l’IA sur l’audiovisuel. Il anticipe les mutations et défend les créateurs. Ancien acteur et voix-off, Stephan est aussi expert en prise de parole et en négociation et il est actuellement le porte-parole de la Fédération Mondiale du Doublage (United Voices Artists).

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