Pour les avocats, la promesse de l'intelligence artificielle est simple : gagner un temps précieux. Pourtant, derrière cet attrait se cache un danger technologique largement méconnu, qui met en péril la pierre angulaire de la profession.
“Le secret professionnel ne se perd pas par erreur : il se perd par ignorance technique.”
Votre outil favori est probablement soumis au droit américain
Le Cloud Act américain de 2018 autorise les autorités des États-Unis à exiger l'accès aux données détenues par tout prestataire soumis à leur juridiction, et ce, même si les serveurs qui hébergent ces données sont situés en Europe. Le problème est structurel : on estime que 90 % des outils numériques utilisés par les avocats sont soumis à des lois étrangères comme celle-ci. Selon les experts, cette situation rend les services cloud américains structurellement incompatibles avec le secret professionnel.
Un simple copier-coller suffit à violer le secret
L'acte peut sembler anodin : copier un extrait d'e-mail client ou de conclusions et le coller dans une IA grand public comme ChatGPT ou Gemini pour en obtenir une synthèse. Cette action est pourtant lourde de conséquences. Elle équivaut à un transfert de données confidentielles hors de l'Union européenne, souvent vers des serveurs soumis au Cloud Act. De plus, les versions gratuites (et parfois même payantes) de ces outils utilisent vos données pour entraîner leurs modèles. Les promesses de "mode privé" ou de "confidentialité renforcée" ne valent rien sans une clause juridique opposable, ce que ces plateformes ne fournissent pas.
“En clair : ce qui vous fait gagner dix minutes aujourd’hui peut vous coûter six mois de suspension demain.”
Face à ce risque, la position des autorités est sans équivoque : la CNIL déconseille formellement l'utilisation d'IA publiques pour le traitement de données sensibles.
Ce qui était un risque technique est devenu une certitude disciplinaire
La convergence des règles du RGPD sur les transferts de données, de la portée extraterritoriale du Cloud Act et des nouvelles classifications de l’AI Act européen a créé un terrain propice aux sanctions. Les rappels à l'ordre et les décisions se multiplient, confirmant que la négligence numérique est désormais sanctionnée :
En 2024, un avocat a été suspendu pour avoir stocké ses dossiers clients sur Google Drive. Le Conseil de discipline a jugé que l’absence de garanties européennes constituait une atteinte directe au secret protégé par la loi de 1971 et l’article 226-13 du Code pénal, rendant le risque du Cloud Act tangible et personnel.
La CNIL a directement sanctionné plusieurs cabinets d’avocats pour des manquements de sécurité et de confidentialité, prouvant que la surveillance s'applique à toute la profession.
ChatGPT a été temporairement bloqué en Italie pour non-conformité au RGPD, démontrant que même les géants de la tech ne sont pas au-dessus des lois européennes sur la protection des données.
La CNIL a lancé plusieurs enquêtes sur les IA publiques, coordonnées au niveau européen (EDPB), signalant une surveillance réglementaire systémique et non plus seulement individuelle.
Les Ordres d'avocats utilisent désormais des procédures disciplinaires simplifiées récentes pour sanctionner rapidement les fautes numériques, prouvant qu'ils sont équipés pour agir vite.
Même les IA spécialisées pour les juristes ne sont pas une solution miracle
Même les outils conçus pour les juristes ne garantissent pas tous le même niveau de sécurité et de conformité. Une analyse des solutions disponibles montre que les outils les plus conformes au secret professionnel et au RGPD sont actuellement français ou européens.
Cependant, ces solutions souveraines présentent une limite majeure : leur périmètre est souvent restreint à la recherche juridique et à la veille. En pratique, cela signifie qu'ils excellent pour trouver de l'information, mais ne peuvent pas encore être utilisés pour analyser un dossier client confidentiel ou rédiger des actes avec une intégration fluide et sécurisée. À ce jour, aucun outil ne parvient encore à combiner à grande échelle "confidentialité totale, RGPD strict et intégration fluide au travail quotidien".
Ne pas interdire, mais maîtriser
L'objectif n'est pas de rejeter l'intelligence artificielle, mais de l'adopter de manière éclairée et sécurisée. Le danger le plus critique ne vient pas de l'outil lui-même, mais de "l'ignorance technique" de celui qui l'utilise. L'enjeu n'est plus seulement d'être conscient des risques, mais de maîtriser les solutions stratégiques qui permettent de les déjouer. La protection du secret professionnel à l'ère numérique est devenue une nouvelle compétence fondamentale.
Face à cette révolution technologique, la plus grande compétence de l'avocat de demain ne sera-t-elle pas de savoir quand ne pas cliquer ?