Cet article présente la feuille de route du pôle ministériel français de l'aménagement du territoire et de la transition écologique pour le déploiement du numérique et de l'intelligence artificielle (IA) jusqu'en septembre 2025. Ce plan stratégique vise à utiliser l'IA et les données comme des outils clés pour l'aménagement du territoire et la transition écologique, en se concentrant sur quatre axes majeurs. Les axes comprennent la construction d'un socle numérique et d'IA commun pour les agents, l'établissement d'une connaissance environnementale partagée grâce aux données, l'engagement des communautés d'acteurs pour le développement de services numériques et d'IA, et l'ambition de faire de la France un leader de l'IA frugale et durable. Le document détaille de nombreux projets spécifiques d'IA, tels que des chatbots pour les transporteurs, des outils d'aide à l'analyse environnementale (LIRIAe), et des bases de données de référence comme le Programme National Lidar HD et la Base de Données nationale des Bâtiments (BDNB), soulignant l'importance de la souveraineté numérique et de la coopération interministérielle et internationale.
IA "garde-champêtre", jumeau numérique : enquête sur la révolution verte et silencieuse de l'État français

L'administration française et la technologie de pointe : l'association sonne pour beaucoup comme un oxymore, évoquant des systèmes vieillissants et des procédures complexes. Pourtant, loin des projecteurs, une stratégie d'une ambition rare est en train de se déployer. Un document de septembre 2025, la "Feuille de route Numérique et Intelligence Artificielle", dessine une vision radicalement différente : faire de l'IA un allié majeur de la transition écologique. Cet article vous dévoile les 5 initiatives les plus surprenantes et impactantes de ce plan qui transforme silencieusement l'action publique.

1. L'État lance son propre "ChatGPT" sécurisé pour ses agents

Le premier pilier de cette stratégie est de doter l'administration de ses propres outils. Le Portail des IA génératives (PIAG) en est l'exemple le plus frappant : un agent conversationnel sécurisé, accessible à l'ensemble des agents du pôle ministériel de la Transition Écologique et de l'Aménagement du Territoire. Plus qu'un simple chatbot, le portail est appelé à évoluer : une version 2 prévue pour septembre 2025 intégrera des fonctionnalités avancées (RAG) permettant d'analyser des corpus de documents internes, promettant des gains de productivité encore plus importants.

L'enjeu principal est celui de la souveraineté et de la sécurité des données. Contrairement aux outils grand public, le PIAG garantit que les requêtes des fonctionnaires ne sont pas utilisées pour entraîner les modèles d'IA externes. De plus, il établit une distinction claire entre les modèles pouvant traiter des données sensibles et ceux à éviter, protégeant ainsi l'information stratégique de l'État.

Ce besoin n'est pas théorique. Un recensement mené en 2024 a révélé que sur 160 cas d'usage de l'IA identifiés par les agents, 60% concernaient l'accès à l'information et son traitement, comme la rédaction ou l'analyse de textes. En se dotant de son propre portail, l'administration fait le choix de maîtriser la technologie pour protéger ses informations, plutôt que de dépendre entièrement de solutions externes.

2. L'IA devient le "garde-champêtre" de l'environnement

Au-delà des bureaux, l'IA devient un véritable agent de terrain numérique, multipliant la capacité de l'État à surveiller et protéger le territoire. Ces nouveaux outils augmentent l'efficacité des services dans des proportions inédites, transformant en profondeur les missions de contrôle.

L'exemple le plus parlant est le projet AIGLE. Cet outil analyse par IA des images aériennes pour détecter automatiquement les constructions illégales dans les espaces naturels, agricoles et forestiers. Il permet ainsi aux services de cibler leurs contrôles avec une efficacité redoutable et d'agir plus rapidement contre l'artificialisation des sols.

D'autres applications illustrent cette tendance à la numérisation de la surveillance environnementale :

  • TransfAIre utilise l'IA pour pré-instruire les dossiers, souvent complexes et multilingues, des transferts transfrontaliers de déchets, accélérant ainsi une procédure administrative fastidieuse.

  • LIRIAe (Liseuse et Recherche Intelligente pour les Autorités environnementales) aide les auditeurs à analyser les 4 000 dossiers d'évaluation environnementale déposés chaque année, avec un gain de temps estimé entre 10 et 20 %.

En automatisant des tâches de veille et d'analyse chronophages, ces technologies permettent de décupler la portée de l'action publique et de recentrer les agents sur des missions à plus forte valeur ajoutée, comme l'inspection sur le terrain ou l'expertise complexe.

3. Le paradoxe de l'IA "verte" : la France veut devenir leader de l'IA frugale

Si l'IA peut aider la transition écologique, son déploiement a lui-même un impact environnemental significatif en termes de consommation d'énergie, d'eau pour les datacenters et de ressources. Conscient de ce paradoxe, le gouvernement français ne se contente pas d'utiliser l'IA, il cherche à en modeler le développement.

La feuille de route fait de cet enjeu une priorité absolue, avec un objectif affiché : "Faire de la France un leader de l’IA frugale", c'est-à-dire une intelligence artificielle conçue pour consommer le moins de ressources (énergie, eau, données) possible. Cette ambition se traduit par des actions concrètes et pionnières.

  • En partenariat avec l'AFNOR, l'État a publié un "référentiel général pour l’IA frugale", permettant à tous les acteurs de mesurer et de déclarer leurs impacts environnementaux.

  • Des outils open source comme Green Algorithms sont développés pour aider à estimer l'empreinte carbone d'un système d'IA dès sa conception.

  • Pour prêcher par l'exemple, les outils internes comme le PIAG affichent l'impact environnemental de chaque requête, sensibilisant ainsi directement les agents utilisateurs.

Cette approche montre une vision à long terme : il ne s'agit pas seulement d'adopter une technologie, mais de s'assurer que son développement soit durable, en posant les bases d'une IA responsable.

4. Construire un "Jumeau Numérique" de la France pour simuler l'avenir

L'une des initiatives les plus ambitieuses de cette feuille de route est la construction d'un "Jumeau numérique de la France et de ses territoires". Conçu par des acteurs de référence comme l'IGN, le Cerema et Inria, ce projet vise à créer une réplique virtuelle et dynamique du pays.

Sa finalité est stratégique : permettre de simuler différents scénarios pour éclairer les décisions publiques. Cet outil permettra par exemple de simuler l'impact de nouveaux parcs éoliens, de modéliser la résilience des cultures agricoles face à la sécheresse, ou encore de planifier l'évacuation de zones littorales menacées par la montée des eaux.

Ce jumeau ne sort pas de nulle part. Il s'appuiera sur des bases de données socles fondamentales, comme le "Programme National Lidar HD" qui cartographie le territoire en 3D avec une précision inégalée, ou la "Base de données nationale des bâtiments (BDNB)". Loin de développer des applications isolées, l'État construit ici une véritable infrastructure de connaissance souveraine, un socle numérique partagé pour piloter la transformation du pays.

5. Au-delà de la tech : le vrai défi est humain

La feuille de route le reconnaît sans détour : la meilleure technologie du monde ne sert à rien sans les compétences pour la maîtriser et l'accompagner. La stratégie française accorde donc une place centrale aux enjeux humains et organisationnels.

Le document identifie clairement "l’attrition induite par l’attractivité du secteur privé" comme un défi majeur pour recruter et retenir les talents du numérique. Face à cette réalité, la stratégie est pragmatique : elle mise sur la détection et la formation des talents déjà présents en interne.

Plus encore, le plan anticipe l'impact de l'IA sur le travail quotidien. Il prévoit la préparation d'un "guide ministériel de bonnes pratiques managériales sur l’utilisation de l’IA" et insiste sur la nécessité d'un "dialogue social" pour accompagner ces changements.

"Disposer d’une expertise en numérique et IA au sein des services de l’État peut se révéler complexe... Dans ce contexte, détecter et former les talents en interne... peut constituer une réponse efficace pour répondre aux besoins numériques des ministères et créer de la valeur."

Cette approche réaliste, qui prend en compte la transformation des métiers et le besoin d'accompagnement, est sans doute l'un des aspects les plus matures de cette stratégie. Elle prouve que la véritable innovation ne réside pas seulement dans la technologie, mais aussi dans la capacité à préparer les humains qui l'utiliseront.

Conclusion

Loin des clichés d'une administration dépassée, l'État français se dote d'une stratégie IA pour l'environnement qui est à la fois ambitieuse sur le plan technologique, consciente de ses propres impacts écologiques et réaliste quant aux défis humains. Si la réussite de ces projets ambitieux dépendra d'une exécution sans faille, ils montrent que l'IA peut être un puissant levier pour l'action publique. La question demeure : comment garantir que cette puissance reste toujours au service du bien commun et de la planète ?

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