
Emmanuel, en tant que fervent défenseur de l'IA et de la technologie générative, pouvez-vous partager un moment clé de votre carrière où vous avez réalisé le potentiel transformateur de l'IA pour les entreprises?
Un moment déterminant a été chez Oracle, lors du déploiement d’un programme ABM à grande échelle sur 36 000 comptes nommés en EMEA. Nous avons construit un indice de propension à acheter combinant fit, engagement et signaux de marché, en exploitant des outils d’IA comme 6sense, Bombora et LinkedIn. Résultat : les comptes avec un PI élevé généraient 3 fois plus d’opportunités, 2 fois plus de victoires, et des deals 2,2 fois plus élevés. Une démonstration concrète du pouvoir de l’IA appliquée au business.
Aujourd’hui, j’accompagne les équipes commerciales de Cision dans un programme mêlant Jobs-To-Be-Done et IA générative. L’objectif : aider les commerciaux à identifier les vraies motivations d’achat de leurs clients et à personnaliser leurs interactions avec l’appui d’outils comme Perplexity ou ChatGPT. L’IA devient ici un co-équipier du commercial, capable d’éclairer les signaux faibles et de structurer des conversations à forte valeur.
Ayant dirigé des initiatives de marketing pour des géants technologiques comme Salesforce et Oracle, comment intégrez-vous l'IA pour optimiser l'alignement entre les ventes et le marketing aujourd'hui?
Lorsque je dirigeais le programme ABM chez Oracle pour les 36 000 comptes nommés en EMEA (marché enterprise), nous avons intégré l’intelligence artificielle de manière très concrète pour rapprocher ventes et marketing autour d’un objectif commun : la croissance des comptes stratégiques.
Nous avons construit un PI Index (Purchase Intent Index) basé sur trois dimensions — Fit, Engagement et Propensity to buy — en exploitant des outils comme 6sense, Bombora, LinkedIn, et des modèles de machine learning et deep learning. Ce scoring nous a permis de prioriser finement les comptes et de concentrer nos efforts là où l’intention d’achat était la plus forte.
L’analyse de 11 000 opportunités dans le pipeline a montré que les comptes avec un PI élevé généraient 3 fois plus d’opportunités, affichaient un taux de transformation deux fois plus élevé, et une valeur moyenne de deal multipliée par 2,2. Des résultats spectaculaires qui ont renforcé l’alignement entre équipes marketing et commerciales.
Aujourd’hui, la générative AI ouvre une nouvelle frontière : celle de la personnalisation des interactions à l’échelle du cercle de décision, et non plus simplement au niveau du compte. Ce que nous faisions manuellement à l’époque pourrait désormais être industrialisé, rendant l’ABM plus granulaire, plus pertinent, et plus humain.
Dans votre rôle de conseiller senior et de coach exécutif, quelles sont les principales inquiétudes ou résistances que vous rencontrez chez les dirigeants concernant l'adoption de l'IA?
Dans mes missions de conseil et de coaching, je constate que les résistances à l’adoption de l’IA ne sont pas tant technologiques que culturelles et organisationnelles.
Dans un whitepaper que j’ai publié sur l’intégration de l’IA dans le marketing et les ventes, j’identifie trois freins majeurs :
- Le manque de clarté sur la valeur business : beaucoup de dirigeants me disent “l’IA, d’accord… mais pour quoi faire, concrètement ?”
- La peur de la perte de contrôle : notamment sur les processus décisionnels ou la relation client, perçus comme trop automatisés.
- La sous-estimation du facteur humain : l’IA est souvent vue comme un levier d’efficience, mais son adoption repose avant tout sur l’adhésion des équipes, leur montée en compétence, et la confiance dans les usages.
C’est pourquoi je travaille souvent en amont avec les COMEX pour repositionner l’IA comme un catalyseur de collaboration, et non comme une technologie de substitution. L’enjeu n’est pas d’aller vite, mais d’embarquer durablement.
Comment voyez-vous l'IA aider les entreprises à atteindre des objectifs de durabilité, et y a-t-il un exemple particulier dans vos projets antérieurs qui illustre cela?
L’IA peut devenir un accélérateur de durabilité pour les entreprises, à condition qu’elle soit pensée dans une logique de frugalité, d’optimisation et de transparence. Ce n’est pas une technologie “neutre” : elle doit s’inscrire dans un cadre éthique et stratégique.
Chez Numeum, l’organisation professionnelle que je représente en tant que président de la commission Marketing & Vente, nous avons engagé une réflexion collective sur la manière dont le numérique – et notamment l’IA – peut contribuer à une transformation plus responsable. Cela passe par :
- L’écoconception des solutions numériques,
- L’analyse d’impact environnemental des modèles IA (parfois très consommateurs en ressources),
- Et l’usage de l’IA pour optimiser les processus (logistique, cloud, production…) en limitant les gaspillages tout en améliorant la performance.
Mais au-delà des outils, j’invite les dirigeants à repenser leur posture face à la complexité actuelle (écologique, technologique, sociétale). C’est justement l’un des fondements de la méthode IMPACT, que je suis en train de formaliser. Elle propose une grille de lecture pour transformer les tensions du monde actuel en opportunités durables, en alignant intention stratégique, action collective et impact mesurable. À suivre !
Avec votre expérience dans le SaaS et le marketing B2B, quels sont les défis spécifiques que l'IA peut aider à résoudre dans ces domaines, et comment conseilleriez-vous de les aborder?
Dans le SaaS B2B, l’un des grands défis est la perte d’efficacité commerciale dans un cycle d’achat devenu plus complexe, plus collectif et plus long. L’IA peut apporter des réponses très concrètes à plusieurs niveaux :
- Identifier les signaux faibles d’un projet en gestation,
- Prioriser les comptes selon leur intention d’achat réelle,
- Personnaliser les messages à grande échelle selon le rôle dans le cercle de décision,
- Et même générer des recommandations d’action ou des scripts adaptés en temps réel.
Chez Oracle, nous avons démontré l’impact de cette approche via un programme ABM boosté par le machine learning, avec des résultats impressionnants sur le taux de transformation et la taille des deals.
Aujourd’hui, je conseille des fondateurs de startups à intégrer l’IA dès les premières étapes de structuration commerciale, sans tomber dans le piège du “tout automatisé”. L’approche que je préconise est itérative : tester sur un petit segment, observer les réactions, ajuster les prompts ou les modèles, et scaler seulement quand l’usage crée de la valeur.
Et surtout, je recommande de lier l’IA à des frameworks clairs, comme le Jobs-To-Be-Done ou la segmentation par moment de tension, pour éviter les effets gadget. L’IA devient alors un outil d’écoute client et un accélérateur d’alignement entre produit, marketing et sales.
Mais l’IA peut aussi jouer un rôle fondamental dans la recherche du Product-Market Fit, un enjeu clé dans les modèles SaaS. En croisant l’IA générative avec des approches comme le JTBD, il devient possible de modéliser les tensions vécues par les clients, de tester différentes propositions de valeur en temps réel, et d’itérer plus vite pour valider ce qui résonne vraiment. C’est d’ailleurs un des piliers de la méthode IMPACT que je développe : aider les dirigeants à faire émerger un alignement fort entre intention, produit, marché et exécution. L’IA ne remplace pas l’intuition… mais elle en accélère la mise en forme.
En tant qu'éducateur au Conservatoire National des Arts et Métiers, comment préparez-vous la prochaine génération à intégrer l'IA de manière responsable dans les modèles commerciaux?
Au CNAM, j’interviens sur un module dédié à l’optimisation du business model SaaS, avec un angle clair : comment structurer son offre et ses métriques clés pour convaincre des investisseurs. Cela implique de comprendre ce que change la logique d’abonnement face au modèle transactionnel, et comment piloter efficacement la récurrence, la rétention et la croissance client.
L’arrivée de la Gen AI vient accélérer ces transformations :
- elle permet de personnaliser à l’échelle,
- d’optimiser l’onboarding et le support client,
- et surtout, elle annonce une transition vers un nouveau modèle Agentic, où les produits SaaS deviennent des agents proactifs capables d’agir, pas seulement de répondre.
Dans mes cours, j’aide les étudiants à anticiper cette évolution, non pas comme un effet de mode, mais comme une mutation profonde de la proposition de valeur SaaS : passer d’un outil à un partenaire digital. Et cela soulève des questions de design, de gouvernance et d’éthique.
C’est là que ma méthode IMPACT entre en jeu. Elle leur propose un cadre pour penser la transformation de manière systémique : du positionnement stratégique jusqu’à l’adoption par les clients. Et surtout, elle les aide à articuler innovation technologique et impact business avec sens et clarté.
Vous êtes également président d'une commission chez Numeum. Comment évaluez-vous la tendance actuelle des entreprises françaises à intégrer l'IA, et quelles politiques devraient être mises en place pour encourager cela efficacement?
En tant qu'Optimist Senior Advisor, Conférencier, Executive Coach et président de la commission Marketing & Vente de Numeum, j’accompagne les dirigeants d’entreprises tech — de la startup aux grands groupes — dans leurs transformations stratégiques. Mon parcours chez Salesforce, Oracle, Sage ou Sun m’a permis de piloter des initiatives mêlant IA, stratégie produit, marketing et changement de modèle économique, notamment dans le SaaS.
Aujourd’hui, j’observe une dynamique contrastée concernant l’adoption de l'IA en France. Si certaines entreprises avancent vite, beaucoup restent encore en retrait. Actuellement, seules 6 % des entreprises françaises ont intégré l’IA dans leurs processus, alors que l’Union européenne vise 75 % d’adoption d’ici 2030.
Pour combler ce retard et stimuler l’adoption de l’IA, plusieurs leviers sont essentiels :
- Sensibilisation et formation : via des dispositifs comme le Tour de France de l’IA, que nous portons avec le Medef chez Numeum.
- Soutien à l’innovation : à travers le financement, les incitations fiscales et un écosystème propice.
- Simplification réglementaire : en harmonisant les règles et en réduisant la complexité.
- Collaboration renforcée : entre grands groupes, startups, institutions et territoires.
Si l’IA est bien accompagnée, elle peut devenir un accélérateur de compétitivité, mais aussi un vecteur de souveraineté technologique et de durabilité. C’est dans cet esprit que je déploie la méthode IMPACT, pour aider les décideurs à articuler les dimensions humaines, économiques et éthiques de leurs transformations.
Plutôt que de courir après la dernière tendance, je les aide à créer un alignement stratégique durable entre vision, technologie et exécution — là où l’IA devient vraiment un levier de progrès collectif.
Optimist Sr. Advisor, Conférencier et Président de la Commission Marketing & Ventes de Numeum, ancien VP Marketing et Chief Product Officer au niveau international chez Oracle, Salesforce, Sun Microsystems et Sage notamment, Emmanuel Obadia accompagne aujourd’hui les dirigeants B2B et les entrepreneurs de la tech dans leurs défis stratégiques au sein de EO&Partners. Président de la Commission Marketing & Ventes de Numeum, il fédère la communauté des décideurs autour des grandes transformations du secteur, en mettant l’accent sur l’alignement des équipes marketing, ventes et customer success autour du client.
Avec sa méthodologie IMPACT – From Uncertainty to Scalable Growth – il aide les entreprises à transformer l’incertitude en croissance durable. En intégrant l’IA et des stratégies go-to-market efficaces, il leur permet d’accélérer leur transformation, de créer et d’exécuter des stratégies à la fois performantes et résilientes.